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COQUILLARDS

Dès la conclusion du traité d'Arras (1435) entre Charles VII et Philippe le Bon, une partie des troupes utilisées au cours de la lutte des Armagnacs et des Bourguignons devient inutile, d'autant plus que le roi de France a déjà entamé la création du noyau d'une armée permanente. Après la trêve de 1444, le roi renvoie une partie des « écorcheurs », quelque 30 000 routiers, en Suisse et en Alsace. Il n'en subsiste pas moins un bon nombre, dispersés à travers tout le royaume, incapables de se reconvertir à la paix. Ils se transforment en bandes de brigands. La plus célèbre est celle des coquillards, jugée en 1455 à Dijon. Ses quelque cinq cents membres ont adopté comme symbole de ralliement la coquille des pèlerins de Saint-Jacques. Grâce aux documents judiciaires, l'historien se trouve en mesure de dessiner les contours de leur organisation et d'en dresser une typologie sommaire : les coquillards se différencient fort peu des écorcheurs des années 1430-1440 ou des « caïmans » de la région parisienne. Ces bandes ne font pas partie du « royaume des gueux », qui regroupe les meutes de mendiants des cours des miracles parisiennes, celle de la rue de la Truanderie et celle de la rue des Francs-Bourgeois par exemple. Le royaume repose, en effet, sur la charité publique et, par rapport aux bandes, sa frontière est mouvante. Quant aux coquillards, ils sont dirigés par le « roi de la coquille », et dominés par une hiérarchie complexe de « maîtres », de « biens subtils » et de « maîtres longs ». Les apprentis (les gascâtres) sont des tueurs (envoyeurs), des coupeurs de bourse (vendangeurs), des tricheurs aux jeux de hasard (beffleurs), des rats d'hôtellerie (blancs coulons). Le mélange social est aussi varié que l'origine géographique : Espagnols, Parisiens, Écossais, Bretons, Savoyards, Normands, Picards, Provençaux se recrutent parmi les soldats sans emploi, les pauvres hères, mais aussi parmi les clercs, les chanteurs de la Sainte-Chapelle de Dijon, les étudiants. Grâce à Villon (la Ballade en jargon jobelin) et au procès de Dijon, nous connaissons en partie leur langue verte, à la fois brutale et savante, mélange de mots étrangers, d'ancien français, de latin, de langue universitaire, d'expressions quotidiennes dévoyées de leur sens. Quelques-uns de ces termes sont entrés dans le langage courant (dupe), d'autres dans les langages argotiques : quilles pour jambes, lourdes ou serres pour mains, etc. La répression bourguignonne est exemplaire : dix pendus, quatre « boullus » vifs pour faux monnayage. Le procès est l'indice de l'importance des « classes dangereuses », question léguée par la guerre de Cent Ans à l'époque moderne, qui ne fut jamais résolue. Les pièces du procès des coquillards, les aveux sans fard du poète Villon ne sont que des documents partiels sur les « empires » du crime et de l'illégalité qui, sous l'histoire politique de l'Europe moderne, forment une autre histoire de la vie quotidienne des sociétés, mouvante et complexe.

— Jean MEYER

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Rennes

Classification

Pour citer cet article

Jean MEYER. COQUILLARDS [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ARGOT

    • Écrit par Pierre GUIRAUD
    • 4 088 mots
    Sur l'existence, l'origine et la nature de ce jargon, les premiers renseignements précis nous sont fournis par les archives du procès des Coquillards, tenu à Dijon en 1455. Il s'agit d'une bande organisée à laquelle appartenaient plusieurs compagnons de Villon et, sans doute, le poète lui-même. Les...
  • JOBELIN

    • Écrit par Daniel POIRION
    • 338 mots

    Dans la première édition imprimée de François Villon (Pierre Levet, 1489), six ballades en argot sont rassemblées sous le titre : Jargon et jobellin. Le second terme doit préciser le premier ; on pense qu'il désigne le jargon des gueux ; mais, si on le rapproche du mot « jobe » (niais,...

Voir aussi