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ANTIQUITÉ

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L'Antiquité comme objet scientifique

Quel que soit le camp choisi, cette querelle supposait que l'on dispose de critères rationnels, universellement valides pour juger les productions d'époques différentes. Elle devenait caduque à partir du moment où le caractère historique de l'humanité était pris en compte : il s'agissait alors non plus de juger, mais de comprendre comment des mondes historiques différents sont pensables ; ainsi, les nouvelles sciences historiques apparues à la fin du xviiie siècle ne s'intéressent plus directement aux œuvres de l'Antiquité, mais à leurs conditions de possibilité.

Le débat sur la spécificité de l'Antiquité a été vif dans deux traditions intellectuelles qui avaient été marquées par la Querelle, en Allemagne et en France. La coupure entre Anciens et Modernes paraissait moins pertinente pour une pensée empiriste comme celle qui règnait en Angleterre.

En Allemagne, peu après 1800, avec la création d'une « science de l'Antiquité » unifiée, la culture ancienne était posée comme objet de science dans la totalité de ses aspects. L'Antiquité grecque et romaine valait, par rapport à une civilisation moderne morcelée, précisément par son harmonie. C'était une culture libre, originale, qui avait su créer un lien organique entre tous ses composants (économie, politique, religion, art, langage). Le philologue Friedrich-August Wolf (1759-1824) qui, le premier, avait défini cette science, en avait exclu les Hébreux, car leur culture restait trop peu unifiée : ils n'avaient pas su élaborer une poésie qui fût à la hauteur de la révélation divine qu'ils avaient reçue. Cette nouvelle science donnant la primauté à l'idée de la spontanéité, de l'originalité harmonieuse de la Grèce, il était posé que la Grèce pouvait être étudiée pour elle-même, sans considération des influences orientales qu'elle avait connues. Une telle conception de l'individualité grecque et de son prolongement romain (considéré comme productif seulement jusqu'à la fin des empereurs antonins, en 192 apr. J.-C.) fut indéfiniment répétée, alors même que la science de l'Antiquité se scindait en disciplines techniques spécialisées (philologie, archéologie, etc.), sans jamais accomplir sa promesse. Des historiens comme Gustav Droysen (1808-1884) ou Leopold von Ranke (1795-1886) ont contesté ce programme et insisté sur le caractère relatif de l'Antiquité, qui n'était qu'une étape de l'histoire universelle.

En France, à la même époque, l'Antiquité est envisagée de manière différente. Une scission s'est maintenue entre un intérêt pour « les Antiquités », avec le développement de l'archéologie (comme en Angleterre), qui accompagnait une politique quasi coloniale en Méditerranée, et un intérêt pour les œuvres littéraires. Il ne s'agissait donc pas de retrouver un « esprit » antique unifié. Mais l'orientation méthodique est la même dans ces deux domaines. Contre la spéculation « allemande », d'inspiration romantique, l'accent est mis sur l'observation. Concernant la littérature, l'étude porte, d'une part, sur la langue, envisagée de manière comparatiste dans ses relations avec les autres langues indo-européennes et, de l'autre, sur les « faits de conscience » tels qu'ils ont été consignés dans les mythes (selon l'impulsion donnée par le philosophe Victor Cousin [1792-1867]). Au-delà de la Grèce et de Rome s'ouvrait ainsi la perspective d'une mythologie comparée. Le point de vue n'est pas centré sur une individualité historique, la Grèce et sa tradition romaine, mais sur les règles qui structurent l'esprit humain.

L'évolution de ces deux traditions différentes a fait que le terme « Antiquité » ne désigne plus désormais[...]

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Pour citer cet article

Pierre JUDET DE LA COMBE. ANTIQUITÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 31/07/2019

Autres références

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