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GIDE ANDRÉ (1869-1951)

Le diable et le Christ

Ce qui caractérise les diverses expériences gidiennes, c'est que chacune, loin d'effacer la précédente, s'ajoute au contraire à elle, comme pour mieux compliquer les choses. Le « mariage du ciel et de l'enfer » par lequel Gide résume son union avec sa cousine Madeleine est aussi et peut-être avant tout une manière de se caractériser soi-même. Le parcours littéraire et existentiel qui le mène des années 1900 jusqu'à la rupture que constituera son grand voyage en Afrique noire de 1926 n'a pas d'autre enjeu. Le Journal, qu'il tient depuis son adolescence et qui s'épanouit particulièrement alors, l'atteste au même titre que son œuvre. Son écriture quasi quotidienne lui permet d'explorer l'existence dans ses postures les plus contradictoires. C'est bien alors parce que le vécu y est obstinément décrypté dans ses dimensions les plus fondamentales comme les plus insignifiantes que Gide peut y déployer tous les ressorts d'un dialogue moral avec lui-même. Il permet de saisir comment André Gide conçoit la création de La Nouvelle Revue française en 1908, aux éditions Gallimard : comme le lieu d'une interrogation sur la responsabilité éthique de l'artiste qui passe par une critique radicale de la facticité du monde littéraire, mais aussi comme l'occasion de rassembler, malgré leurs différences et à cause d'elles, une génération d'écrivains non compromis : Claudel, Proust, Valéry, Jammes, Martin du Gard, Suarès... Toujours dans le Journal, il cherche à maintenir intensément présent un dialogue avec le Christ qui, loin d'être un assujettissement à une Église quelconque, se veut une méditation sur le message de joie, ici et maintenant, des Évangiles et, pour faire bonne mesure, à conduire parallèlement un dialogue avec le diable : celui de la faute mais également celui grâce à qui on lève enfin le voile sur ce qu'on « cache de l'homme » et qui fascine. Dans le Journal, enfin, on remarque le désir de traquer la vérité partout, y compris pendant la guerre de 1914-1918, où Gide, jour après jour, décrypte les mensonges de la propagande officielle et jette sur la guerre et sur l'« union sacrée » un regard particulièrement démystificateur. Plus profondément, c'est son propre mensonge que Gide, dans ces pages, s'attache à lever : l'événement le plus radical à cet égard est le geste par lequel Madeleine brûlera toutes ses lettres (« ce qu'il avait de plus précieux au monde ») en apprenant le départ de son mari pour l'Angleterre en 1917 avec son amant, Marc Allégret.

Au cours de cette période, Gide développe une activité critique très importante, d'où sortiront les deux volumes Prétextes (1903) et Nouveaux Prétextes (1911), tout à la fois textes polémiques (contre Barrès, Maurras...) et exercices d'admiration (Goethe, Stevenson, Nietzsche, Wilde...), qui se poursuivent avec la publication de son grand livre sur Dostoïevski en 1923. Il s'exerce, sans grande réussite publique, au théâtre, avec notamment Le Roi Candaule (1901), Saül (1903), où là encore le religieux, le diabolique et la sensualité traversent sur un mode quasi shakespearien l'expérience gidienne d'une exploration méthodique du bien et du mal. Sur le plan romanesque, outre La Porte étroite (1909), dont le projet est très ancien, la véritable innovation, ce sont évidemment Les Caves du Vatican (1914) et Les Faux-Monnayeurs (1926). Dans le premier roman, il s'agit, au travers du héros, Lafcadio, sorte de dandy anarchiste, de prolonger et d'exalter le thème de l'« acte gratuit » déjà en germe dans des œuvres précédentes comme le Prométhée mal enchaîné (1899). Ce roman parodique ridiculise simultanément le catholicisme bourgeois, au travers du thème du pape imposteur,[...]

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Pour citer cet article

Éric MARTY. GIDE ANDRÉ (1869-1951) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

André Gide - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

André Gide

<em>Une lecture</em>, T. van Rysselberghe - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Une lecture, T. van Rysselberghe

Autres références

  • LES FAUX-MONNAYEURS, André Gide - Fiche de lecture

    • Écrit par Alain CLERVAL
    • 1 002 mots
    • 1 média

    André Gide (1869-1951), Prix Nobel de littérature en 1947, et en qui Malraux a vu « le contemporain capital », aura exercé une influence considérable tout au long de l'entre-deux-guerres, notamment sur la jeunesse. À partir des années 1920, Les Nourritures terrestres (1897) furent l'évangile...

  • LES NOURRITURES TERRESTRES, André Gide - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 291 mots

    En avril 1897, lorsque Les Nourritures terrestres paraissent au Mercure de France, à compte d’auteur et en tirage limité, André Gide (1869-1951) a déjà publié plusieurs ouvrages – Les Cahiers dAndré Walter (1891), LesPoésies dAndré Walter (1892), Le Voyage dUrien (1893) et ...

  • L'IMMORALISTE, André Gide - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 775 mots
    • 1 média

    Bien qu'âgé de quarante-trois ans, André Gide (1869-1951) est encore peu connu en dehors des milieux littéraires lorsqu’il publie son récit L’Immoraliste (1902). Les Nourritures terrestres(1897) sont passées relativement inaperçues et ne deviendront le bréviaire d’une génération qu'une...

  • AUTOFICTION

    • Écrit par Jacques LECARME
    • 2 426 mots
    • 2 médias
    ...la personne réelle de l'auteur avec la figure que le romancier entend représenter ou induire. » Or cette règle était déjà transgressée victorieusement par André Gide qui, dans ses fictions, au nom de la sincérité ou de l'authenticité, imposait l'idée d'une adéquation entre une figure corporelle de l'auteur...
  • DELAY JEAN (1907-1987)

    • Écrit par Jean MÉTELLUS
    • 1 038 mots

    De sa naissance à Bayonne le 14 novembre 1907 jusqu'à sa tétralogie généalogique Avant mémoire, en passant par l'Académie de médecine et l'Académie francaise, chaque moment de la vie de Jean Delay a fait l'objet d'enquêtes, de réflexions, et tout n'a suscité qu'admiration. Delay a-t-il pu...

  • ENGAGEMENT

    • Écrit par Jean LADRIÈRE, Jacques LECARME, Christiane MOATTI
    • 11 615 mots
    • 1 média
    ...s'assombrit. La plupart des écrivains choisissent l'engagement polémique et mettent ouvertement leur talent au service d'une cause. Des gestes comme celui de Gide et Malraux, portant en janvier 1934, à la demande du P.C.F., une pétition à Berlin pour réclamer la libération du Bulgare Dimitrov, secrétaire de...
  • RÉCIT DE VOYAGE

    • Écrit par Jean ROUDAUT
    • 7 128 mots
    • 1 média
    ...Gide au Congo, il reprend La Fontaine, Molière et, de Bossuet, le Traité de la concupiscence. Michel Leiris, dans L'Afrique fantôme, lit André Gide, mais c'est pour critiquer ses descriptions. Gide et Leiris se rejoignent pour admirer Au cœur des ténèbres de Conrad. Le récit de voyage...
  • Afficher les 19 références

Voir aussi