ALJAMIADA, littérature
De l'arabe al-'adjamiyya (paroles d'étranger), le mot aljamía se trouve déjà dans le Poema de Alfonso XI (vers 1348) ; il désigne le latin corrompu utilisé par les mozarabes, c'est-à-dire les chrétiens hispano-romains de l'Al-Andalus ayant accepté la domination de l'Islam (711-712). Les maures utilisèrent ce mot pour désigner le castillan. Les poemas aljamiados sont des compositions écrites en castillan, mais avec des caractères arabes ou hébreux. En effet, les mudéjares (musulmans des territoires christianisés) et les juifs d'Espagne parlaient le castillan ; s'ils avaient oublié leur langue maternelle, ils continuaient cependant d'écrire la langue de leurs ancêtres. Le Poema de Yusuf (xive s.) est l'une des principales manifestations de la littérature aljamiada. D'après R. Menéndez Pidal, l'auteur en est peut-être un morisco (musulman devenu chrétien) aragonais. Ce poème appartient au mester de clerecía. Rédigé en caractères arabes, il raconte l'histoire biblique de Joseph, selon la version coranique. Les Coplas de Yocef, de la même époque et sur le même thème, sont rédigées en caractères hébreux. La plupart des manuscrits clandestins ayant conservé cette littérature sont du xvie siècle. Ces textes sont souvent d'intention apologétique. Le Kitāb segobiano (1462) fut ainsi écrit par le muftī de Ségovie, Isā Djābir (Ice de Gebir), afin d'enseigner la doctrine de l'Islam. Un conte de fées, écrit dans ce dialecte, La Doncella Carcayona, célèbre aussi le seul vrai Dieu, Allāh. On ne connaît qu'un seul poète de cette littérature, el Mancebo de Arévalo ; il écrivit le Sumario de la relación y ejercicio espiritual, Tafsina, et, en collaboration avec Baray de Reminjo, fakir d'Aragón, Breve Compendio de nuestra santa ley. Un autre texte de cette littérature ne fut publié qu'en 1886, le Recontamiento del rey Alixandre, récit des prodiges survenus à Alexandre le Grand.
Les jarchas appartiennent aussi à la littérature aljamiada. Il s'agit de poésies écrites dans un mélange d'arabe et de langue romane, fort appréciées dans l'Andalousie musulmane où le bilinguisme était usuel. Les plus anciennes jarchas datent du début du xie siècle. Elles ne disparurent pas avec la Reconquête. La jarcha (harǧa) désigne la strophe finale d'une muwaššaḥa, nom de certains poèmes en arabe ou en hébreu. Surprenante, fulgurante, en style direct, habituellement en langue vulgaire — germe et principe de la muwaššaḥa qui en naîtra : tels sont, selon Ibn Sana al-Muluk, les caractères de la jarcha. En voici un exemple :
Tant'amáre, tant'amáre,
habib, tant'amáre,
enfermaron uelios gaios,
e dolen tan male.
De tant aimer, de tant aimer,
ami, de tant aimer,
malades sont tombés des yeux
joyeux et maintenant blessés.
Il apparaît désormais que cette poésie lyrique mozarabe forme, avec la lyrique gallégo-portugaise et la lyrique castillane, un ensemble cohérent, fondé sur une lointaine tradition romane commune.
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Écrit par
- Bernard SESÉ : professeur émérite des Universités, membre correspondant de la Real Academia Española
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