Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

RENGER-PATZSCH ALBERT (1897-1966)

Les historiens de la photographie qui se sont attachés à étudier le bouillonnement créatif qui emporte la photographie allemande au lendemain de la Première Guerre mondiale s'accordent à reconnaître en Albert Renger-Patzsch un chef de file dont le style original, puissant et si parfaitement défini a immédiatement séduit et entraîné à sa suite nombre d'émules. Chef de file, Renger-Patzsch le fut à plus d'un titre. Par ses images publicitaires, ses illustrations de livres et sa photographie de presse, il a certes donné ses lettres de noblesse à la photographie appliquée. Mais c'est surtout l'originalité du regard qu'il porte sur les objets les plus quotidiens et la préservation du rendu spécifiquement photographique de l'image qui ont fait de lui le représentant européen de ce que les Américains ont appelé la straight photography (photographie pure).

Comme pour tout artiste ou photographe travaillant en Allemagne à cette époque, il est impossible de dissocier l'œuvre de Renger-Patzsch du contexte social, économique et politique de la république de Weimar. Avec l'abolition du Reich, l'instauration d'un régime parlementaire et la grave crise économique résultant de la défaite, l'Allemagne connaît au début des années vingt de profonds bouleversements sociaux. La grande bourgeoisie industrielle doit compter avec les forces ouvrières qui ont enfin leurs représentants au Parlement et qui revendiquent des garanties de salaires, un contrôle sur la direction des entreprises, la sécurité sociale. La dépression économique a provoqué une inflation galopante, la dévaluation de la monnaie, un terrible accroissement du chômage qui renforcent encore la misère des classes défavorisées.

Cette détresse sociale est ressentie par beaucoup comme la conséquence directe du système des valeurs en vigueur sous l'Empire et qu'il faut à tout prix désarticuler. Pris au cœur de la tempête, le monde artistique connaît une série de ruptures radicales. L'expressionnisme est condamné pour ses excès d'introspection, de subjectivité et d'irrationnel. La peinture vériste de la nouvelle objectivité (Neue Sachlichkeit) va s'attacher à dépeindre la laideur, la souffrance morale et physique, l'injustice et les plaies non encore cicatrisées héritées de la guerre. Par l'attention qu'il porte au quotidien, l'art devient l'arme d'un combat social. Par ailleurs, l'école du Bauhaus que Walter Gropius dirige dès 1919 et à laquelle vont collaborer Paul Klee, Wassily Kandinsky et Laszlo Moholy-Nagy, favorise le rapprochement entre l'art et l'industrie, le fonctionnalisme, la pureté de la forme et l'apparence de la structure.

La pratique photographique de Renger-Patzsch s'inscrit précisément au croisement entre ces deux expériences que sont la nouvelle objectivité et le Bauhaus. Sans être un révolutionnaire, il retirera de la première l'attrait pour les objets usuels tirés du quotidien et la nécessité d'extirper de son travail toute expression subjective. D'autre part, il va appliquer avec soin les principes formalistes et fonctionnalistes édictés par le Bauhaus.

Né à Würzburg, d'un père musicien et photographe amateur, Renger-Patzsch commence à photographier dès l'âge de douze ans. Il entreprend après la guerre des études de chimie et de photographie à Dresde. La crise économique ne permettant plus aux photographes de vivre de l'industrie du portrait, il collabore avec des maisons d'édition, travaille comme photographe de presse indépendant et réalise de nombreux travaux documentaires ou publicitaires. Sa participation à la célèbre exposition Film und Foto montée par Moholy-Nagy à Stuttgart, en 1929, le désigne d'emblée comme le plus important praticien européen de la photographie pure. Moholy-Nagy avait[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur de communication à l'Institut supérieur des sciences sociales et pédagogiques de Marcinelle, Belgique, chargé de cours à l'université de Liège

Classification

Pour citer cet article

Marc-Emmanuel MÉLON. RENGER-PATZSCH ALBERT (1897-1966) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BLOSSFELDT KARL (1865-1932)

    • Écrit par Universalis, Jean-François POIRIER
    • 1 265 mots
    ...primitivement à des fins pédagogiques mais qui allait se révéler aussi une œuvre d'art moderne, c'est-à-dire une œuvre qui expose sa propre conception. On associe souvent son nom à la Nouvelle Objectivité, courant artistique allemand des années 1920, dont le leader photographique est Albert Renger-Patzsch...
  • NOUVELLE OBJECTIVITÉ

    • Écrit par Lionel RICHARD
    • 2 146 mots
    ...dans les journaux et les magazines. La photographie accède au premier rang pour rendre compte du réel. Elle reçoit de plusieurs de ses praticiens, comme Albert Renger-Patzsch et August Sander, le prestige qui lui manquait jusque-là. En 1929, ce qu'elle signifie dans son « lien aux choses » a été fort bien...
  • PHOTOGRAPHIE (art) - Un art multiple

    • Écrit par Hervé LE GOFF, Jean-Claude LEMAGNY
    • 10 750 mots
    • 21 médias
    ...Cette limite sensible entre la réalité du sujet et la forme que lui imprime l'artiste concerne aussi bien l'Américain Edward Weston que l'Allemand Albert Renger-Patzsch, et en France les natures mortes d’Emmanuel Sougez comme les portraits de Daniel Masclet. Ainsi, les regards posés par Jean...
  • PHOTOGRAPHIE (art) - Le statut esthétique

    • Écrit par Gérard LEGRAND
    • 5 146 mots
    • 8 médias
    Die Welt ist schön (« Le monde est beau »), ce titre d'un album-manifeste du photographe allemand Albert Renger-Patzsch (1928), révèle bien la contradiction interne de l'« illusion de réalité » : Renger-Patzsch condamne tout trucage, toute recherche des « effets », attitude d'autant plus remarquable...

Voir aussi