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AFL-CIO (American Federation of Labor-Congress of Industrial Organizations)

En 1986, l'American Federation of Labor-Congress of Industrial Organizations célébrait le centième anniversaire de sa plus puissante composante, l'American Federation of Labor. Le panorama qu'elle pouvait contempler était pour le moins inquiétant : en trente ans, le syndicalisme américain n'avait cessé de s'affaiblir. La plus puissante centrale syndicale des États-Unis était pourtant née à New York, le 5 décembre 1955, de la fusion de l'American Federation of Labor, forte de 10 millions d'adhérents, et du Congress of Industrial Organizations, qui comptait 5 millions de membres. George Meany et Walter Reuther, qui présidaient respectivement l'A.F.L. et le C.I.O. depuis 1952, se virent attribuer, le premier la présidence, l'autre la vice-présidence de la centrale unie. Le siège de l'A.F.L.-C.I.O. se trouve à Washington. Son président est, en 1992, Lane Kirkland. Son budget annuel, en 1985, était de 45 millions de dollars. Mais, pour son département des affaires internationales, elle disposait de 43 millions de dollars : 6 millions de la centrale elle-même et 37 millions de l'État fédéral (dont 23 millions de l'Agency for International Development et 14 millions du National Endowment for Democracy, dont l'objectif est de « vendre les principes de la démocratie à l'étranger »). À la fin des années quatre-vingt, l'A.F.L.-C.I.O. regroupait plusieurs dizaines de syndicats affiliés (dont les Teamsters – 1,4 million de membres – qui ont rejoint l'A.F.L.-C.I.O. en décembre 1987) et 14,5 millions de syndiqués (sur environ 18 millions).

La plupart des syndicats de l'A.F.L.-C.I.O. s'intitulent syndicats « internationaux », car ils possèdent des branches au Canada, à Porto Rico notamment. L'A.F.L.-C.I.O. est membre de la C.I.S.L. ( Confédération internationale des syndicats libres) dont le siège est à Bruxelles, rivale de la F.S.M. (Fédération syndicale mondiale). Malgré la faiblesse relative de ses effectifs, et en raison de ses vastes ressources financières, l'A.F.L.-C.I.O. a joué et continue de jouer un rôle important non seulement aux États-Unis, mais aussi dans un grand nombre de pays étrangers.

L'American Federation of Labor

Dans l'histoire sociale du monde occidental, le cas américain a été notoirement brutal. Comme l'écrivent Philip Taft et Philip Ross (in H. D. Graham et T. R. Gurr dir., The History of Violence in America) : « Les États-Unis ont eu l'histoire du travail la plus sanglante et la plus violente de toutes les sociétés industrialisées. » D'après les sources de l'époque qu'ils citent, il y eut, par exemple, entre janvier 1902 et septembre 1904, époque qui n'est troublée par aucune grande grève, 198 morts et 2 000 blessés dans diverses grèves locales et lock-out.

Naissance de l'A.F.L.

L'histoire du syndicalisme américain est particulièrement ancienne. Avant même la Déclaration d'indépendance (1776), les artisans se regroupent en sociétés d'entraide pour parer à la maladie ou au décès des adhérents. Très rapidement, à la fin du xviiie siècle, des organisations de défense se constituent, par métier (charpentiers, imprimeurs ou cordonniers) dans les villes les plus importantes comme Boston, New York ou Philadelphie, pour s'opposer aux réductions de salaire que leur imposent les employeurs. Apparaissent alors les techniques qui deviendront traditionnelles du syndicalisme, la grève notamment. Très rapidement, la réponse des employeurs sera de recourir aux tribunaux : la technique deviendra, elle aussi, traditionnelle. Dès 1806, des syndicats sont poursuivis et condamnés pour « conspiration dans le but de limiter le commerce », selon la doctrine anglaise de common law qui estimait que toute tentative des travailleurs pour s'organiser afin d'obtenir de meilleurs salaires constituait en fait une conspiration contre le bien public.

Ces attaques, couronnées de succès, contre les syndicats et la récession provoquée par la guerre de 1812 contre l'Angleterre et par les difficultés dues aux guerres napoléoniennes en Europe se conjuguent pour ralentir la progression syndicale. Pourtant, le développement économique et les débuts de l'industrialisation vont permettre la renaissance d'un mouvement syndical qui commence même à établir des liens de ville à ville. Sa croissance est facilitée par une décision d'un juge municipal de Boston (Commonwealth c. Hunt, 1842) qui reconnaît la légalité des associations de travailleurs. Mais si le statut légal des syndicats n'est ainsi plus mis en cause, leurs méthodes (grèves ou boycottages) pour obtenir la satisfaction de leurs revendications restent, pour des décennies encore, du domaine des tribunaux qui n'hésitent pas à condamner les syndicats.

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Ce n'est qu'à l'occasion de la guerre civile que naîtra, en 1864, le premier syndicat national, l'International Industrial Assembly of North America, dont l'existence est d'ailleurs brève. La National Labor Union lui succède en 1866, qui ne survivra que jusqu'en 1872. Elle se bat pour la journée de huit heures, adoptée par le Congrès pour les employés fédéraux en 1868. Mais le syndicat se politise et son échec aux élections de 1872 entraîne sa disparition. En 1869, les Chevaliers du travail (Knights of Labor) sont fondés par des catholiques irlandais. Ouverte à tous, ouvriers de métier et ouvriers d'industrie, l'organisation tente de dépasser le vieux conflit sur la forme que doit prendre le syndicat. Quinze ans plus tard, les Chevaliers regroupaient déjà 700 000 adhérents. En 1886, au Canada, ils étaient condamnés par l'Église qui leur reprochait de s'être organisés en société secrète afin de mieux assurer leur sécurité. Aux États-Unis, le cardinal Gibbons et Mgr Ireland intervinrent pour éviter une condamnation similaire, mais ils profitèrent de l'occasion pour dénoncer les dangers du « séparatisme » catholico-irlandais au sein d'une société protestante. Ils amorçaient ainsi l'américanisation du catholicisme en encourageant le gros des troupes des Chevaliers du travail à adhérer à l'American Federation of Labor.

Celle-ci avait été précédée en 1881 par la Federation of Organized Trades and Labor Union qui devint en 1886 l'American Federation of Labor sous la direction de Samuel Gompers (1850-1924), membre du syndicat des ouvriers des manufactures de tabac et président de sa section locale de 1874 à 1881. À ce titre, après la leçon de la grande crise économique de 1873, il entreprit, avec Adolphe Strasser, de réorganiser la Cigar Maker's International Union sur le modèle des syndicats britanniques. D'autres syndicats, qui avaient suivi la même évolution, se regroupèrent autour de lui pour former la nouvelle organisation qui connut très vite le succès.

L'agitation sociale

Manifestation de Haymarket - crédits : AKG-images

Manifestation de Haymarket

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C'est alors la grande époque de l'agitation sociale aux États-Unis. La grande grève de 1877, qui atteint tous les centres ferroviaires et voit la ville de Pittsburgh occupée par les insurgés ; les événements de Haymarket en 1886 ; les grèves de Homestead en 1892, de Pullman en 1894 et de Cœur d'Alene de 1892 à 1899 ; la véritable « guerre de trente ans » du Colorado entre 1884 et 1914 et les grèves des métiers du bâtiment en 1909-1910 ne sont que les temps forts qui rythment, année après année, le florilège de l'histoire ouvrière américaine. Ils manifestent la violente opposition entre ouvriers et patrons des grandes industries naissantes. Ces derniers étaient d'ailleurs aidés par le pouvoir qui n'hésitait pas à faire intervenir les troupes fédérales aux côtés des milices d'État et de la police locale pour écraser les mouvements de grève dans les industries clés. La justice n'était pas moins active pour soutenir les entrepreneurs. Elle développe à nouveau, après les grèves des chemins de fer de 1877, l'arme de la « conspiration » et la poussera à l'extrême, puisque la simple présence d'ouvriers en grève à la porte des usines ou le boycottage seront suffisants pour obtenir des condamnations pour « conspiration ». Mais, surtout, la justice va trouver, dans les conflits du travail, l'arme, fort puissante, de l'« injonction » qui permet à une personne qui estime être lésée dans ses droits d'obtenir devant un tribunal que cette violation de ses droits cesse par voie d'injonction. La personne qui ne respecterait pas les termes de l'injonction peut être condamnée pour « mépris de la cour ». La combinaison de cette arme avec un détournement d'objectif du Sherman Antitrust Act de 1890 s'avéra fort efficace. La loi interdisait en effet « les restrictions à la liberté du commerce » par « contrat, combinaison sous forme de trust ou autre, ou conspiration ». Les trusts, premiers visés, firent rarement l'objet des rigueurs de la loi. Mais les syndicats, bien que certains parlementaires l'eussent souhaité, ne furent pas expressément exclus du champ d'application de la loi. Cela permit une interprétation extensive par les tribunaux : les syndicats et les grèves qu'ils organisent furent considérés comme mettant gravement en danger la liberté du commerce. L'exemple de la grève Pullman est significatif. En 1894, les employés de la compagnie Pullman (dont les salaires viennent d'être diminués de 30 p. 100) se mirent en grève et obtinrent le soutien de l'American Railway Union dirigée par Eugene Debs. La situation dégénéra rapidement, les incidents violents se multiplièrent et les troupes fédérales furent envoyées par le président Cleveland (contre la volonté du gouverneur de l'Illinois) à Chicago. Les tribunaux fédéraux réussirent à briser la grève en délivrant une injonction aux dirigeants syndicaux. En application du Interstate Commerce Act de 1887 et du Sherman Antitrust Act en 1890, ils durent cesser de porter atteinte à la liberté du commerce et arrêter leur grève sous peine d'être condamnés à la prison. Eugene Debs fut condamné à six mois de prison, non pour délit de grève ni pour les violences qui avaient eut lieu, mais pour atteinte à la liberté du commerce. Dans In re Debs (158 U.S. 564, 1895), la Cour suprême affirma la légalité de l'injonction décidée par les tribunaux et de la condamnation subséquente. Comme le souligne Jacques Lambert dans son Histoire constitutionnelle des États-Unis : « Avec l'injonction, les juges avaient trouvé un instrument d'intervention directe dans les conflits du travail dont la puissance est irrésistible. D'autant plus puissant que l'injonction permet aux tribunaux de punir, d'une sanction pénale, des faits que le législateur n'a point considérés comme crimes ou délits sans qu'ils soient limités par les garanties [de jury notamment] que l'accusé trouve normalement dans le droit anglo-saxon [...]. Comme, d'autre part, le procédé de l'injonction est extrêmement souple, la grève devient presque impossible, même par les méthodes les plus pacifiques, si le magistrat veut l'arrêter. » Dès lors, le précédent est établi et le nombre d'injonctions va croître « comme boule de neige en train de rouler » selon l'expression du juge Felix Frankfurter dans l'étude qu'il a consacrée à l'injonction du travail (The Labor Injunction). Il faudra attendre le vote de la loi Norris-La Guardia (qui légalise de fait les activités syndicales) en 1932 pour que l'injonction perde une bonne part de sa puissance d'intimidation et de répression.

Gompers refusait pour l'A.F.L. toute compromission politique, tout caractère idéologique, écartant les tendances socialistes qui se faisaient jour, refusant les programmes plus ou moins révolutionnaires. Il limitait son action à trois revendications pratiques : salaires plus élevés, temps de travail plus court, liberté d'action syndicale croissante.

Malgré sa volonté d'apolitisme, l'A.F.L. ne se développa en fait que lorsqu'elle bénéficia d'un appui gouvernemental. Pendant les quatre premières années de la présidence de Theodore Roosevelt (1901-1908), qui s'était rangé aux côtés des syndicats pendant la longue grève (cinq mois) des mineurs de charbon, les effectifs syndicaux passèrent de 868 000 à 2 000 000. Mais le conservatisme eut tôt fait de reconquérir ses droits. La plupart des ouvriers furent contraints de signer les yellow-dog contracts par lesquels ils s'engageaient à ne pas se syndiquer, sous peine de perdre leur emploi. Les grévistes essuyèrent le feu des mitrailleuses (massacre de Ludlow, 1913) ; mais, après l'entrée en guerre des États-Unis (1917), Gompers devint membre du Conseil de la Défense nationale et s'efforça d'éviter les grèves afin de ne pas nuire à la production de guerre. En retour, il reçut l'appui du président Wilson. La volonté d'apolitisme avait cédé devant le nationalisme, mais les effectifs de l'A.F.L. atteignirent 5 000 000 de membres en 1918.

L'A.F.L. face au syndicalisme révolutionnaire

L'attitude de l'A.F.L. contrastait avec celle des Industrial Workers of the World ( I.W.W.). Ceux-ci avaient été fondés en 1905, à Chicago, par Eugene V. Debs, qui purgea plusieurs peines de prison en raison de ses activités politiques et syndicales et fut cinq fois candidat socialiste à la présidence des États-Unis, de 1900 à 1920. Alors que l'A.F.L. organisait les travailleurs par métiers, selon des conceptions assez corporatistes, les I.W.W. regroupaient dans un même syndicat tous les travailleurs d'une même industrie, du manœuvre à l'ouvrier spécialisé. Debs lui-même avait quitté le syndicat des chauffeurs de locomotive pour fonder l'American Railway Union, où se retrouvaient non seulement des chauffeurs, mais aussi des mécaniciens ou des employés. Au réformisme de l'A.F.L., les I.W.W. opposaient un programme ouvertement révolutionnaire : abolition du capitalisme, édification du socialisme, ambitions exprimées en termes vagues, mais appuyées au besoin par une action violente. Alors que Gompers soutenait l'effort de guerre des États-Unis, les I.W.W. s'affirmaient nettement pacifistes et antimilitaristes. Plusieurs centaines d'entre eux furent accusés de refuser la conscription, d'organiser des grèves financées par l'ennemi, de saboter la production, et furent condamnés à de lourdes peines de prison. Mais des dissensions internes affaiblirent les I.W.W. Bon nombre de leurs dirigeants rallièrent le Parti communiste après la révolution d'Octobre. Et, surtout, les I.W.W. échouèrent à devenir un syndicat de masse et ne parvinrent pas à porter un coup décisif à l'A.F.L.

A.F.L.-C.I.O. : évolution du nombre de syndiqués - crédits : Encyclopædia Universalis France

A.F.L.-C.I.O. : évolution du nombre de syndiqués

Les I.W.W. comptaient moins de 10 000 membres en 1930, au moment où les adhésions à l'A.F.L. allaient faire un nouveau bond en avant. Le conservatisme d'après guerre, illustré par la présence des républicains Harding, Coolidge et Hoover à la Maison-Blanche, avait fait fondre les effectifs de l'A.F.L. (3 500 000 membres en 1923) et la chute avait encore été accélérée par la grande crise de 1929-1930. Pour relever l'économie du pays, Franklin D. Roosevelt, ayant besoin de l'appui des syndicats, ne négligea aucun effort pour les aider. Ainsi, après Theodore Roosevelt et Wilson, un troisième président des États-Unis encourageait le développement du syndicalisme. Franklin Roosevelt fit voter le National Industrial Recovery Act (1933) qui garantissait aux ouvriers le droit de s'organiser et imposait le respect du salaire minimal et de la limitation de la journée de travail. En juillet 1935, le Wagner Act donna au syndicalisme sa « grande charte ». De 1933 à 1940, les syndicats doublèrent leurs effectifs pour atteindre plus de 7 millions d'adhérents.

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Écrit par

  • : rédacteur en chef du journal "Le Monde diplomatique".
  • : directrice de recherche au Centre d'études et de recherches internationales de la Fondation nationale des sciences politiques

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Manifestation de Haymarket - crédits : AKG-images

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