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ACQUISITION DU LANGAGE CHEZ LES MALENTENDANTS

Un des aspects les plus marquants du langage est qu’il peut être traité et appris aussi facilement par l’œil et la main que par l’oreille et la bouche – en d’autres termes, le langage peut être construit à partir de signes manuels ou à partir de mots parlés. Aujourd’hui, cette idée n’est plus controversée mais, il y a cinquante ans encore, le fait qu’une langue des signes (LS) puisse être un vrai langage, c’est-à-dire analogue à la langue parlée (LP) dans sa structure et sa fonction, était loin de faire l’unanimité... En 1880, le Congrès international des éducateurs de sourds, réuni à Milan, prit une résolution condamnant les méthodes manuelles/gestuelles pour apprendre le langage aux personnes sourdes. Cette résolution reflétait la conviction, bien établie à l’époque, selon laquelle le signe gestuel n’est pas un langage adéquat, une attitude que les éducateurs pour sourds ont continué à défendre pendant de nombreuses années. La LS était décrite comme « moins symbolique », plus picturale que la LP, et donc moins adaptée à la pensée abstraite.

La langue des signes, structure, et acquisition

Le langage des signes - crédits : Marvin Joseph/ The The Washington Post/ Getty Images

Le langage des signes

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Un pas important dans la reconnaissance de la LS comme un vrai langage a été franchi grâce à l’analyse linguistique de l’American Sign Language (ASL) faite par William Stokoe : la LS possède les équivalents d’une phonologie, d’une morphologie, et d’une syntaxe. La phonologie décrit le niveau d’analyse auquel des unités distinctives du langage (éléments sans signification) se combinent pour former des unités significatives, les morphèmes. En LP, les phonèmes sont basés sur des éléments acoustiques et articulatoires. La substitution d’un phonème crée un nouveau morphème : par exemple, la substitution /m/-/b/ permet de contraster « mouche » et « bouche ». Ce niveau d’analyse existe également dans toutes les LS, dans lesquelles la phonologie (appelée aussi chérologie) est d’origine visuelle : les chérèmes sont les configurations de la main, les mouvements et les localisations, qui se combinent pour former de nouveaux signes. La substitution d’un chérème par un autre permet de distinguer deux signes : par exemple, en ASL, le signe bird (oiseau) ne diffère du signe newspaper (journal) que par la localisation du signe, la configuration de la main et le mouvement étant identiques. La combinaison des chérèmes se fait de manière simultanée en LS, alors que la combinaison des phonèmes est séquentielle dans la LP.

L’étude des confusions entre signes dans des conditions de masquage visuel a permis de montrer que les chérèmes constituent bien un niveau de l’analyse phonologique réalisée par les locuteurs des LS. D’autres études de l’ASL ont suivi à d’autres niveaux d’analyse. Par exemple, un modèle morphologique des verbes de mouvement et de localisation dans lequel les racines des verbes contiennent des morphèmes représentant la direction du mouvement, la manière et l’orientation a été proposé. On a également identifié des classificateurs qui marquent la catégorie sémantique, la taille ou la forme de l’objet. Il a également été montré que les LS possèdent une morphologie flexionnelle (les verbes sont accordés en genre et en nombre avec à la fois le sujet et l’objet) ; une morphologie dérivationnelle (les noms et les verbes diffèrent systématiquement en ASL) ; et une structure syntaxique : l’ordre des mots sujet-verbe-objet (SVO) est régulier dans les situations non marquées – lorsque cet ordre est altéré (par exemple par une topicalisation), le morphème qui a été déplacé est marqué par une expression faciale.

Chez les enfants sourds éduqués dans des familles de sourds (5 à 10 p. 100 de la population des sourds) et exposés à la LS comme langue première, le babillage, les premiers signes/mots et l’acquisition des pronoms se développent suivant des étapes remarquablement similaires à celles documentées pour l’acquisition de la LP chez l’entendant. Des différences systématiques existent entre les signeurs natifs (enfants sourds de parents sourds) et les apprenants tardifs de la LS comme première langue (enfants sourds exposés à la LS seulement après avoir échoué à acquérir une LP). Il existe donc une période sensible pour l’acquisition de la LS, comme il en existe une pour l’acquisition de la LP. Comme le montrent les travaux de R. I. Mayberry et de ses collègues, l’exposition tardive à une LS comme première langue (L1) engendre des déficits à long terme dans l’utilisation de la morphologie verbale, la répétition immédiate, le rappel de phrases et le jugement de grammaticalité. Les apprenants tardifs de la LS comme L1 la traitent à un niveau plus superficiel, retiennent des aspects formels des signes et n’accèdent pas directement à leur signification. De récentes études en neuroimagerie réalisées sur des adolescents sourds qui n’ont été exposés à la LS qu’à partir de l’âge de quatorze ans montrent que la déprivation langagière précoce conduit à une circuiterie corticale atypique pour le traitement de la LS.

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Le langage des signes - crédits : Marvin Joseph/ The The Washington Post/ Getty Images

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