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POLYGAMIE

La polyandrie

La polyandrie est rare. Il ne faut pas la confondre avec certains phénomènes qui en sont apparemment proches, par exemple avec certaines coutumes que l'on trouve chez les Crow (Indiens des Prairies), les Massaï (Afrique), du désistement temporaire d'un mari de ses droits maritaux en faveur d'un ami, d'un visiteur étranger de la même classe que lui, ou d'un supérieur dont on veut obtenir des dons ou des pouvoirs spéciaux. Si on élimine ces cas de fausse polyandrie, alors la vraie polyandrie ne se rencontre que chez les Bahima de l'Afrique orientale, certaines tribus d'Esquimaux, les Toda de l'Inde, enfin et surtout au Tibet (sous la forme de la polyandrie fraternelle). On note tout de suite que ces populations sont extrêmement diverses du point de vue du genre de vie (chasseurs, pasteurs et agriculteurs). Ce qui fait non seulement que la polyandrie est rare, mais encore qu'on ne trouve pas une explication générale qui puisse en rendre compte. Il faut examiner les cas connus l'un après l'autre.

L'infanticide des filles chez les Toda

Et d'abord les Toda, parce qu'on a déjà rencontré cette population à propos du mariage par groupes. En effet, le mariage chez les Toda a varié au cours des temps. Les Toda ont été d'abord polyandres, c'est-à-dire que, lorsqu'un homme se mariait, sa femme devenait automatiquement l'épouse de ses frères et que tous vivaient, en général, dans la même habitation ; les enfants étaient ceux de l'aîné des époux, tout au moins jusqu'au moment où un autre mari célébrait la cérémonie de l'arc et de la flèche sur la femme enceinte ; alors les enfants à naître lui appartenaient jusqu'à ce qu'un troisième mari, par ordre d'âge, célébrât le rituel. Ainsi, la qualité de père était déterminée sociologiquement ; c'était la cérémonie de l'arc et de la flèche qui établissait la paternité légale. Or, à l'époque où les Toda étaient polyandres, ils pratiquaient l'infanticide des filles, et par conséquent, dans ce cas particulier, on peut lier la polyandrie à l'infanticide des filles. Mais pourquoi tuait-on les filles ? Il est probable que le pays ne fournissait pas les ressources nécessaires pour qu'une population nombreuse puisse y prospérer ; or, comme la croissance de la population se fait par les femmes, les Toda n'ont trouvé d'autre solution pour restreindre la croissance démographique que l'assassinat des enfants du sexe féminin. Cependant, les Anglais ayant interdit l'infanticide des filles, les rapports entre les sexes se sont peu à peu rapprochés de la normalité. Ainsi, H. W. R. Rivers a pu montrer que, à partir de 1870 et jusque vers 1900, pour trois générations successives, le nombre des hommes pour 100 femmes était tombé dans un groupe de 159,7 à 129,2 et dans un autre de 259 à 171. Les Toda ont réagi à la situation nouvelle qui leur était imposée non pas en abandonnant la polyandrie, mais en la complétant par la polygynie : « Là où autrefois trois frères se partageaient une épouse, ils en ont maintenant deux et s'adaptent ainsi au nombre croissant des femmes » (Lowie). On est ainsi passé de la polyandrie au mariage par groupes, que nous avons défini comme un mixte de polyandrie et de polygynie. Et nous trouvons dans cette évolution une nouvelle preuve de l'erreur de la théorie évolutionniste de Morgan ; loin que le mariage par groupe ait constitué un moment obligatoire archaïque de l'évolution du mariage, il peut être au contraire une formation sociale relativement récente.

Mode de vie entre frères

La polyandrie des Esquimaux est, comme celle des Toda, liée causalement à l'infanticide des filles et cet infanticide à son tour, encore plus sûrement que chez les Toda, aux difficultés économiques de vivre dans[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Paris-I

Classification

Pour citer cet article

Roger BASTIDE. POLYGAMIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANTIQUITÉ - Le droit antique

    • Écrit par Jean GAUDEMET
    • 12 008 mots
    • 1 média
    La polygamie, normale à l'époque des patriarches, persiste à l'époque monarchique. Des tendances monogames se feront jour progressivement et l'emporteront, sans entraîner cependant une condamnation formelle de la polygamie. Il ne faut d'ailleurs pas confondre la pluralité d'épouses légitimes et égales...
  • CHARLEMAGNE (742-814)

    • Écrit par Robert FOLZ
    • 4 716 mots
    • 4 médias
    ...Liutgarde. Après la mort de celle-ci (800), il eut encore plusieurs concubines dont naquirent des fils et des filles. Tout cela évoque irrésistiblement la polygamie ancestrale. On notera cependant que la conduite de Charlemagne ne fut pas officiellement blâmée par l'Église et que lui-même, chrétien sincère...
  • ETHNOLOGIE - Ethnologie générale

    • Écrit par Raymond William FIRTH
    • 9 581 mots
    La monogamie est habituelle dans tous les types de sociétés, et la polygamie exceptionnelle, même si elle représente l'idéal ; mais souvent, il est permis d'avoir plus d'une femme (polygamie) et parfois plus d'un mari ( polyandrie). Chaque union est un mariage en soi, parfois à vrai dire avec des...
  • ISLAM (La religion musulmane) - Les fondements

    • Écrit par Jacques JOMIER
    • 12 637 mots
    • 1 média
    L'islam définit soigneusement le statut personnel. En matière de mariage, il permet à l'homme d'avoir jusqu'à quatre épouses, les concubines esclaves étant licites sans clause de nombre. Il est demandé au mari d'être juste à l'égard de ses femmes. La tendance moderne est d'ailleurs de restreindre...
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Voir aussi