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PANTHÉISME

Giordano Bruno

C'est cette solution néo-platonicienne au problème de la transcendance de l'être qui sera adoptée (et adaptée) par certaines philosophies médiévales, arabes, juives, ou chrétiennes. Elles constituent la charnière qui relie Plotin à la Renaissance par Giordano Bruno. On ne les évoque ici que pour mémoire, préférant laisser parler le représentant même du panthéisme moderne, Giordano Bruno. Celui-ci se réfère fort souvent à Plotin, et il cite parfois un Arabe et un chrétien, Avicébron et David de Dinant. S. Munk a établi que le Maure Avicébron était en réalité le philosophe juif espagnol Ibn Gabirol (xie s.), auteur du Fons vitae, traduit de l'arabe. David de Dinant, condamné par l'Église, est surtout connu par les comptes rendus et les extraits qu'on trouve de son œuvre chez Albert le Grand.

Ce que Bruno retient essentiellement chez David de Dinant et chez Ibn Gabirol, c'est l'affirmation de la divinité de la matière. À partir de ce point de départ, on comprend qu'on puisse retrouver l'inspiration essentielle du panthéisme jusqu'au cœur du Moyen Âge : Dieu est infini, et la nature matérielle qui est divine fait partie intégrante de cet infini. Le monde, dès lors, est réunifié et l'on peut affirmer valablement et que Dieu est l'infini et que Dieu est Un.

C'est cette inspiration qu'on retrouvera chez Giordano Bruno, le système des concepts venant de la lutte difficile qu'il dut mener contre l'emprise aristotélicienne, qui dressait tout un barrage entre Plotin et lui-même.

Reconnaissant, à la façon de Plotin, que « toute la philosophie est une recherche sur le premier principe », Bruno doit élaborer son système avec les concepts aristotéliciens de forme et de matière, de substance et d'accident, de cause et de principe, mais en se dressant contre ces concepts, et en leur attribuant un sens parfaitement neuf et subversif. C'est dans cette perspective que l'on peut mieux comprendre que l'ouvrage principal de Bruno, Cause, principe et unité (De causa, principio et uno, Venise, 1584), soit à la fois une œuvre moderne de la Renaissance d'inspiration néo-platonicienne et une critique effective de l'aristotélisme, exprimée en un langage d'apparence aristotélicienne.

La doctrine centrale de Bruno consiste dans l'affirmation d'un monisme infiniste absolu. Dieu n'est pas distinct de l'Univers, et cet être unique et infini constitue la Substance. Plus précisément, Dieu et Univers sont deux aspects, deux points de vue sur cette réalité véritable qu'est l'« originaire et universelle Substance, identique pour tout » (Cause, principe et unité, Ve dialogue). « Dans l'un infini et immobile qui est la Substance, qui est l'être », l'unité n'est pas affectée par la multiplicité des choses sensibles, qui ne sont que des modes multiformes de cet être unique, ou des apparences fugitives et la « face diverse » d'une même substance.

L'identification de Dieu et de la Nature suppose la présence totale de la Substance universelle en chacune des parties de l'univers. Marqué non seulement par Plotin, mais par Nicolas de Cues, Bruno peut affirmer que toute chose est toute chose, et que le minimum est identique au maximum. Les contraires coïncident, mais c'est en raison de la présence universelle totale en chaque partie de l'Être unique qui est Dieu ou Substance, et qui pénètre toute la matière. Sur la base de cette Unité absolue, immobile et infinie qui englobe et constitue le tout de l'être, il est possible de comprendre l'agencement des concepts de Cause et de Principe, de Matière et de Forme.

L'Être originaire et total est Dieu. Mais on peut le considérer du point de vue de la Matière et du point de vue de la Forme. La Matière, infinie et intelligible,[...]

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Pour citer cet article

Robert MISRAHI. PANTHÉISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ALBRECHT ALTDORFER. MAÎTRE DE LA RENAISSANCE ALLEMANDE (exposition)

    • Écrit par Christian HECK
    • 1 177 mots
    • 1 média
    ...ce soit celle du rocher qui semble donner sa force au manteau rouge qui le couvre, ou celle des montagnes bleutées dans le lointain. C’est une vision panthéiste de l’Univers, mais un panthéisme chrétien, où l’humanité cohabite avec les puissances sauvages du monde sans les craindre, car elle y est...
  • AMAURICIENS

    • Écrit par Raoul VANEIGEM
    • 703 mots

    Disciples supposés d'un clerc qui enseignait la philosophie et la théologie à Paris, Amaury de Bène, les amauriciens, condamnés en 1209 et 1211, s'inscrivent plus exactement parmi les premiers adeptes d'un courant que l'Église condamnera plus tard sous le nom de Libre-Esprit....

  • DAVID DE DINANT (fin XIe-déb. XIIe s.)

    • Écrit par Jean RIBAILLIER
    • 1 169 mots

    « Mystérieux auteur d'une œuvre non moins mystérieuse. » Cette formule rend assez bien compte de l'état de nos connaissances sur David de Dinant. On sait qu'il fut condamné ainsi qu'Amaury de Bène au synode de Paris (1210) : « Les Quaternuli de David devaient être...

  • LIBRE-ESPRIT MOUVEMENT DU

    • Écrit par Raoul VANEIGEM
    • 3 154 mots
    ...dénoncés à l'archevêque de Paris. Quelques-uns ont suivi les leçons d'Amaury, mais la conception philosophique qu'ils développent s'apparente davantage au panthéisme de David de Dinant. Les autres, curés de villages situés non loin de Paris, ne s'embarrassent guère de subtilités métaphysiques (Jean, curé...

Voir aussi