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JEUNESSE LITTÉRATURE POUR LA

Écriture et réécritures : l'exemple de Robinson

<it>Robinson Crusoé</it> - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Robinson Crusoé

Les Aventures de Télémaque (1699) de Fénelon, récit conçu pour l'éducation d'un futur roi, mais proche encore de la déambulation homérique des Anciens, s'intéressait à l'économie du royaume et à la gestion du commerce et des forêts. Avec plus d'une centaine de rééditions, le livre fut un roman pédagogique majeur dans les deux siècles qui suivirent. Mais c'est bien La Vie et les étranges et surprenantes aventures de Robinson Crusoé (1719) de Daniel Defoe, traduit en français l'année suivante et que les enfants se sont approprié, qui a lancé véritablement l'aventure au xixe siècle, instaurant un débat sur la famille, la manufacture et la propriété. Ce héros puritain modeste effectue un détour par l'Allemagne, avec l'adaptation traduite en français sous le titre Le Nouveau Robinson (1779) du pédagogue Campe, esprit des Lumières qui y voit surtout matière à des savoirs encyclopédiques. Il a ensuite femme et enfants dans Der Schweizerische Robinson (Le Robinson suisse) de Johann David Wyss (1812), pasteur qui s'intéresse aux découvertes de la botanique et de la zoologie et à la leçon de morale que permet l'aventure. Cet ouvrage devient Les Robinsons suisses l'année suivante dans la traduction en français par Mme de Montolieu qui, héritière du roman sentimental, lui ajoute une petite comédie : la mère de famille est enlevée par les sauvages, puis retrouvée, et l'introduction d'une autre mère et de ses deux filles qui ont connu une robinsonnade au féminin se conclut par deux mariages. La constitution romanesque d'une grande famille qui vit sur l'île dans le bonheur appelle ainsi une identification féministe de l'enfant-lecteur. Cette traduction est à son tour réutilisée par le fils de Wyss, Johann Rudolph, qui ajoute deux chapitres à la fiction, mais en reste à l'observation de la stricte morale paternelle.

<it>L'Île mystérieuse</it>, J. Verne - crédits : Patrice Cartier/ Bridgeman Images

L'Île mystérieuse, J. Verne

En France, la robinsonnade fait son apparition pour la première fois avec Le Robinson de douze ans, histoire intéressante d'un jeune mousse français abandonné dans une île déserte par Mme Mallès de Beaulieu en 1818. Le héros, Félix Franœur, est un jeune Breton catholique qui n'a pas l'industrie de son homonyme protestant et que sa mère viendra rejoindre dans un ultime enfermement. Ce récit a influencé Jules Verne dans l'écriture de L'Île mystérieuse (1874), où triomphe l'image du père énigmatique. On voit ici comment une série d'échanges entre masculin et féminin, protestantisme et catholicisme, au gré des passages d'une langue à une autre, suscite une floraison de réécritures dont l'aboutissement sera la publication de L'Île au trésor de Robert Louis Stevenson (1883), et, plus tard, Sa Majesté des mouches (1954) de William Golding, inspiré lui aussi par L'Île de corail de R. M. Ballantyne (1857), Le Royaume de Kensuké de Michael Morpurgo (2000). Cet exemple montre qu'une intertextualité naît spontanément du croisement des classiques dans le champ de la littérature pour la jeunesse. Celle-ci est bien un lieu dans lequel le lecteur peut expérimenter ses peurs comme ses plaisirs, dans des œuvres situées au plus près de ses fantasmes. Il en va ainsi pour les nombreuses réécritures des Aventures de Pinocchio (1881-1883) de Carlo Collodi, qui promènent la marionnette dans le monde entier : par exemple, traduit en 1912 en Espagne, Pinocchio, sous la plume de Salvador Bartolozzi, s'en fut jusqu'au pôle Nord, dans la lune et même au centre de la terre. Remarquable est aussi le nombre d'éditions, d'adaptations en films et en dessins animés, notamment japonais, de Sans famille d'Hector Malot, roman de la reconstruction du bonheur familial dont la publication commença en 1877.

L'instigation à la création[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de l'université de Paris-XIII, président fondateur de l'Institut international Charles-Perrault

Classification

Pour citer cet article

Jean PERROT. JEUNESSE LITTÉRATURE POUR LA [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Michel Tournier - crédits : Rapahel Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Michel Tournier

<em>Les Misérables</em>, V. Hugo - crédits : Géo Dupuis/ musée Victor Hugo, Paris/ AKG Images

Les Misérables, V. Hugo

Lewis Carroll - crédits : Lewis Carroll/ Hulton Archive/ Getty Images

Lewis Carroll

Autres références

  • ALEXANDER LLOYD (1924-2007)

    • Écrit par Universalis
    • 507 mots

    Nourri aux sources de la mythologie et des romans arthuriens, l'écrivain américain Lloyd Alexander transporta ses lecteurs dans un univers de fantasy avec cinq romans regroupés sous le titre de Prydain Chronicles (Chroniques de Prydain). La série débute avec The Book of Three (1964, Le Livre...

  • ALICE AU PAYS DES MERVEILLES, Lewis Carroll - Fiche de lecture

    • Écrit par Sophie MARRET
    • 1 212 mots
    • 1 média
    Les Aventures d'Alice au pays des merveilles naquirent lors d'une promenade en bateau à laquelle Lewis Carroll avait convié Alice, Lorina et Charlotte Liddell, les filles du doyen de Christ Church. Les enfants lui demandèrent de leur raconter une histoire qu'il inventa au fur et à mesure de leur...
  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    L'évolution du genre suit, comme il est logique, l'évolution de la place attribuée à l'enfant dans la société anglaise et, plus précisément, au sein de la classe dominante. Tant que les enfants n'existent pas pleinement comme individus reconnus et que rares sont ceux qui savent lire, il n'y a pas de...
  • BARRIE JAMES (1860-1937)

    • Écrit par Universalis
    • 791 mots

    Auteur de pièces de théâtre et de romans, James Barrie, né le 9 mai 1860 en Écosse à Kirriemuir, est surtout connu pour avoir créé le personnage de Peter Pan, le garçon qui ne voulait pas grandir.

    Fils d'un tisserand, il ne s'était jamais remis de la mort d'un de ses frères, survenue alors...

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Voir aussi