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HISTOIRE (Domaines et champs) Anthropologie historique

Le succès rencontré par l'anthropologie historique depuis les années 1970 chez les historiens conduit à s'interroger sur le choix de cette nouvelle appellation comme sur le projet historiographique qu'elle recouvre. Faut-il voir dans l'anthropologie historique le fruit d'une alliance des historiens avec l'anthropologie contractée au moment où le structuralisme de Lévi-Strauss procurait à celle-ci un prestige nouveau ? Ce serait ignorer que les fondateurs des Annales s'intéressaient déjà aux travaux des anthropologues. Marc Bloch s'était inspiré de James Frazer pour son premier grand livre Les Rois thaumaturges (1924) ; attiré par l'étude du folklore comme voie d'accès à la culture matérielle et aux formes routinières de l'activité mentale, Lucien Febvre avait noué des liens avec les chercheurs du musée des Arts et Traditions populaires.

À la rencontre du structuralisme

Au cours des années 1970, les emprunts des historiens à l'anthropologie s'intensifient. Pour Georges Duby, qui marche dans les pas de Marc Bloch, le transfert est homéopathique et calculé. Dans chacun de ses livres, nourris par une solide érudition, il introduit un emprunt conceptuel à l'anthropologie qui approfondit sa perspective. Son analyse de la mise en place des lignages féodaux dans La Société aux XIe et XIIe siècles dans la région mâconnaise (1953) s'inspire du chapitre sur « les liens du sang » de La Société féodale (1939) de Marc Bloch mais aussi des Structures élémentaires de la parenté (1949) de Claude Lévi-Strauss. Dans Guerriers et paysans (1973), il introduit la pensée de Marcel Mauss sur le don et l'économie ostentatoire. Dans Les Trois Ordres, ou l'Imaginaire du féodalisme (1978), c'est le structuralisme du linguiste et mythologue Georges Dumézil qui guide sa pensée. Par les thèmes et les auteurs qu'il évoque, Montaillou, village occitan (1975) d'Emmanuel Le Roy Ladurie, le plus grand best-seller de l'École des Annales, nous offre un feu d'artifice des usages de la littérature anthropologique pour l'analyse du passé.

La conjoncture intellectuelle des années 1960 peut également expliquer la préférence donnée au terme anthropologie. Au moment où les historiens se tournent de plus en plus vers l'ethnologie, celle-ci est en train d'adopter, sous l'influence de Claude Lévi-Strauss, responsable de son nouveau prestige, l'appellation « d'anthropologie sociale », utilisée dans le monde anglo-saxon. Les deux termes ne sont pas tout à fait interchangeables. Françoise Héritier propose d'appeler ethnologie l'étude d'une culture dans sa totalité pour faire ressortir sa logique propre, et anthropologie la démarche comparative qui, à propos d'un trait constitutif de l'humanité, cherche à en retrouver les différentes déclinaisons à travers le temps et l'espace (La Science sauvage, 1993). Comparaison, prise en compte des variations dans le temps : ces deux exigences sont essentielles pour une discipline, comme l'histoire, vouée à l'étude des changements.

Mais l'ascendant paradoxal que prend le structuralisme lévi-straussien sur les historiens à la fin des années 1960 n'explique pas tout. L'anthropologie s'est constituée en France au milieu du xixe siècle autour de l'étude de la variabilité des caractères physiques de l'homme à travers le temps (comme l'évolution de la taille étudiée par Broca à partir de relevés anthropométriques anciens) et la diversité des sociétés. Critiquée par Durkheim pour ses hypothèses biologisantes ou racialistes et délaissée progressivement par les sciences sociales en raison de son évolutionnisme réducteur, l'anthropologie a continué à être enseignée dans les facultés de médecine jusqu'aux années 1950 et à véhiculer certains de ses sous-produits idéologiques[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

Classification

Pour citer cet article

André BURGUIÈRE. HISTOIRE (Domaines et champs) - Anthropologie historique [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Hernán Cortés à Tlaxcala, lithographie - crédits : AKG-images

Hernán Cortés à Tlaxcala, lithographie

Autres références

  • HISTOIRE (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 161 mots

    Tandis que la physique étudie le monde sensible ou la chimie la transformation de la matière, l’histoire (mot issu d’un vocable grec signifiant « enquête ») étudie... l’histoire. La plupart des langues européennes désignent également par un même mot l’étude et l’objet de l’étude. Est-ce là une imperfection...

  • LE RÔLE SOCIAL DE L'HISTORIEN (O. Dumoulin)

    • Écrit par Bertrand MÜLLER
    • 995 mots

    Au cours de ces dernières décennies, les scènes d'intervention de l'historien se sont multipliées. Sans changer apparemment de costume, l'historien joue de nouveaux rôles : désormais requis comme témoin ou expert sur des scènes sociales – tribunaux, médias, commissions, etc. –, qui ne sont pas a priori...

  • À DISTANCE. NEUF ESSAIS SUR LE POINT DE VUE EN HISTOIRE (C. Ginzburg) - Fiche de lecture

    • Écrit par François-René MARTIN
    • 1 032 mots

    À distance. C'est sous ce titre que l'édition française de l'ouvrage de Carlo Ginzburg rassemble les neuf essais qui le composent (Gallimard, Paris, 2001). Le livre est traduit trois ans après sa publication en italien chez Giangiacomo Feltrinelli Edition sous le titre d'Occhiacci...

  • L'ÂGE DES EXTRÊMES. HISTOIRE DU COURT XXe SIÈCLE (E. Hobsbawm)

    • Écrit par Marc FERRO
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    L'Âge des extrêmes (Complexe-Le Monde diplomatique, 1999) constitue le quatrième et dernier tome d'un ensemble d'ouvrages qui ont analysé le destin des sociétés depuis la fin du xviiie siècle. Le premier tome, L'Ère des révolutions, traite de la transformation du monde...

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    • Écrit par Benjamin STORA
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    Historien de l'Algérie contemporaine, Charles-Robert Ageron est né le 6 novembre 1923 à Lyon. Il était issu d'une famille de petits patrons d'atelier. Son père dirigeait une modeste entreprise de mécanique. Bachelier en 1941, il s'inscrit à la faculté des lettres de Lyon où l'un de ses professeurs...

  • AGNOTOLOGIE

    • Écrit par Mathias GIREL
    • 4 992 mots
    • 2 médias

    Le terme « agnotologie » a été introduit par l’historien des sciences Robert N. Proctor (université de Stanford) pour désigner l’étude de l’ignorance et, au-delà de ce sens général, la « production culturelle de l’ignorance ». Si son usage académique semble assez circonscrit à la ...

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Voir aussi