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ANGELICO FRA (1400 env.-1455)

Fortune critique

Or, cette épitaphe à elle seule pourrait faire comprendre tout le prestige, mais aussi toute l'ambiguïté dans laquelle la fortune critique du peintre n'a cessé d'osciller. Elle pose l'artiste « comme un autre Apelle » (velut alter Apelles), confirmant par là combien il aura été, dès son vivant, considéré comme l'un des plus grands peintres de son temps ; et Domenico Veneziano, son rival en un sens, ne disait pas autre chose dans la lettre qu'il avait adressée, en 1438, à Piero de' Medici pour lui vanter ses propres mérites comparés à ceux des trois buoni maestri florentins, Masolino, Masaccio et Fra Giovanni...

Pourtant, l'épitaphe demande au visiteur que Fra Giovanni ne soit justement pas loué pour ses talents de peintre, mais pour le simple fait qu'il ait consacré toute sa vie et tous ses « dons » à la dévotion de Jésus-Christ (omnia, Christe, dabam...). C'est ainsi qu'en 1469 apparaît sous la plume du dominicain Giovanni da Corella l'épithète fameuse d'Angelicus pictor. Fra Giovanni, une nouvelle fois, se fait ainsi rebaptiser d'un nom que chacun, désormais, lui donnera : Fra Angelico, voire Beato Angelico.

Car l'idée d'un peintre « bienheureux », vertueux, perdu dans le monde précisément « angélique » de la contemplation divine, cette idée ne cessera plus de courir dans les esprits. On prête à Michel-Ange le propos selon lequel « ce bon moine a visité le Paradis et il lui a été permis d'y choisir ses modèles ». Vasari écrit encore ceci :

Il ne retoucha et ne transforma jamais aucune de ses peintures, mais les laissa toujours comme elles lui étaient venues du premier jet ; il croyait, disait-il, que telle était la volonté de Dieu. Fra Giovanni, dit-on, n'aurait jamais touché ses pinceaux sans avoir auparavant récité une prière. S'il peignait un crucifix, c'était toujours les joues baignées de larmes.

Le point d'orgue de cette fortune critique consiste évidemment dans l'officialisation de l'usage, à savoir la béatification du peintre, promulguée le 3 octobre 1982 par le pape Jean-Paul II. Celui-ci commence son texte avec une citation de Vasari (« chi fa cose di Cristo, con Cristo deve stare sempre ») et le termine avec l'institution d'une liturgie associée au nom du peintre.

Jusqu'à la fin du xixe siècle, l'histoire de l'art avait elle aussi perpétué le mythe d'un « artiste mystique » dont la main ne fût guidée que par l'ineffable contemplation divine. Sa vocation de discipline « scientifique » lui fait tenir aujourd'hui un tout autre discours, qui n'est souvent que l'envers positiviste du discours précédent : elle cherche dès lors à formellement situer l'art de Fra Angelico par rapport aux traditions qui l'ont précédé et aux bouleversements stylistiques qui lui ont été contemporains.

Mais à seulement s'en tenir au point de vue linéaire ou chronologique d'une histoire des styles, on ne fait bien souvent, avec l'Angelico, que tourner en rond : dans telle œuvre on trouvera l'indice de la tradition siennoise du Trecento, ailleurs on verra l'application des principes albertiens les plus novateurs du Quattrocento, ailleurs encore on retrouvera Giotto lui-même. Lorsqu'on lit la trop abondante littérature consacrée à Fra Angelico, on en arrive souvent à ne plus savoir si son activité de peintre fut résolument novatrice, ou transitoire, ou vaguement nostalgique, ou franchement rétrograde...

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Pour citer cet article

Georges DIDI-HUBERMAN. ANGELICO FRA (1400 env.-1455) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Fra Angelico : Saint Dominique - crédits :  Bridgeman Images

Fra Angelico : Saint Dominique

<it>Le Jugement dernier</it>, Fra Angelico - crédits :  Bridgeman Images

Le Jugement dernier, Fra Angelico

<it>La Nativité</it>, Fra Angelico - crédits :  Bridgeman Images

La Nativité, Fra Angelico

Autres références

  • AMAURY-DUVAL EUGÈNE EMMANUEL PINEU-DUVAL dit (1808-1885)

    • Écrit par Bruno FOUCART
    • 439 mots

    Sans doute l'un des plus originaux et des mieux doués des élèves d'Ingres, Amaury-Duval se contenta d'une carrière honorable et discrète. Peintre à la production rare, appartenant par sa famille à l'intelligentsia parisienne (son père, membre de l'Institut, fondateur de la ...

  • CLOÎTRES

    • Écrit par Léon PRESSOUYRE
    • 5 514 mots
    • 3 médias
    ...Dominique. Les grands ensembles de fresques du Quattrocento italien décorent souvent les cloîtres des ordres mendiants. Ainsi, à Florence, les fresques de l' Angelico, intégralement conservées dans les cellules et la salle capitulaire de San Marco, couvraient aussi les galeries d'un cloître de ce couvent, dit...
  • DIDI-HUBERMAN GEORGES (1953- )

    • Écrit par Maud HAGELSTEIN
    • 1 113 mots

    Georges Didi-Huberman est né en 1953 à Saint-Étienne. Philosophe et historien de l'art, il enseigne depuis 1990 à l'École des hautes études en sciences sociales de Paris. Avec plus d'une trentaine de livres publiés depuis 1982, il est l'un des théoriciens de l'image...

  • GOZZOLI BENOZZO (1420-1497)

    • Écrit par Marie-Geneviève de LA COSTE-MESSELIÈRE
    • 403 mots
    • 2 médias

    Après un apprentissage d'orfèvre chez Ghiberti, Gozzoli devient l'élève et le collaborateur de Fra Angelico. Il travaille avec lui à la cathédrale d'Orvieto (1447) et au Vatican, dans la chapelle de Nicolas V (1447-1450). L'art tout imprégné de spiritualité naïve du maître éveille...

Voir aussi