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ÉPISTÉMOLOGIE

Problèmes de l'épistémologie contemporaine

Si l'on veut présenter maintenant en un tableau sommaire les problèmes qui paraissent occuper en priorité les épistémologues d'aujourd'hui, il conviendra, plutôt que de décrire des courants et de définir des substantifs en « isme », d'esquisser une sorte de cartographie de l'univers épistémologique actuel, en y montrant les lieux les plus recherchés des explorateurs. Or il nous semble que les problèmes peuvent être groupés autour de deux centres d'attraction majeurs, deux interrogations que pose, à l'intérieur de la science, une double disparité de types de connaissance : l'opposition de sciences « formelles » et de sciences « empiriques », d'une part ; d'autre part, l'opposition des sciences de la nature et des sciences de l'homme.

Sciences formelles, sciences empiriques

Le développement simultané, et parfois conjoint, d'une mathématique et d'une physique semble poser plus que jamais la question de leurs statuts respectifs et de leurs rapports instrumentaux. Les néo-positivistes du Cercle de Vienne, qui se sont explicitement posé le problème dans les années trente, l'ont généralement résolu d'une façon radicale en ramenant les sciences formelles aux règles – largement arbitraires – d'un langage (par exemple Carnap, dans Der logische Aufbau der Welt, 1928, et Logische Syntax der Sprache, 1935). Solution provocatrice et difficile à maintenir si l'on n'en atténue pas sérieusement la rigueur, mais qui a eu le mérite d'obliger philosophes et logiciens à reprendre à nouveaux frais les problèmes classiques posés par Leibniz et par Kant, renouvelés par Russell. Le problème pourrait être ainsi formulé : quelle est la portée d'une connaissance purement formelle ? en quoi nous sert-elle à connaître le monde et quel peut être son fondement ?

C'est d'abord la logique elle-même qui se trouve mise en question. La construction d'un formalisme, d'une Begriffsschrift (une idéographie rigoureuse), réalisée pour la première fois avec un succès notable par Frege, Peano, Russell et Łukasiewicz constitue déjà, en elle-même, une œuvre épistémologique, car elle suppose une analyse très réfléchie des opérations de la pensée démonstrative, et des prises de position quant à leur sens et à leur hiérarchie. Une fois cette idéographie instituée, comme elle l'est aujourd'hui, la problématique philosophique suscitée par la logique considérée comme science se concentre autour d'une triple interrogation, relative aux propriétés métathéoriques des systèmes logiques, à la pluralité de ces systèmes et à leur rapport au langage naturel.

1. On appelle propriétés métathéoriques d'un système symbolique formalisé des propriétés globales de ce système, en tant qu'instrument de représentation d'une pensée démonstrative. On se demande, par exemple, s'il est ou non susceptible de conduire à des contradictions, s'il offre ou non des moyens de caractériser toute proposition bien formée comme démontrable ou réfutable. De telles investigations comportent naturellement le déploiement d'une activité de calcul ; et, de ce point de vue, la logique est devenue une partie des mathématiques. Mais la détermination même des notions mises à l'épreuve, la conceptualisation des idées intuitives de non-contradiction, de complétude, de décidabilité relèvent d'une philosophie de la logique et sont des problèmes épistémologiques.

2. La prolifération de systèmes logiques « non classiques » ouvre naturellement un champ épistémologique étendu au philosophe. Des logiques modales systématisées par C. J. Lewis dès 1918 aux logiques multivalentes de Łukasiewicz (1930), intuitionnistes de Heyting (1930), aux logiques de la mécanique quantique[...]

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Pour citer cet article

Gilles Gaston GRANGER. ÉPISTÉMOLOGIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Auguste Comte - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Auguste Comte

Bertrand Russell - crédits : Kurt Hutton/ Picture Post/ Getty Images

Bertrand Russell

Wittgenstein - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Wittgenstein

Autres références

  • ABSTRACTION

    • Écrit par Alain DELAUNAY
    • 906 mots

    Terme qui renvoie à tout au moins quatre significations, à la fois indépendantes les unes des autres et pourtant reliées par un jeu de correspondances profondes.

    Un sens premier du mot abstraction est le suivant : négliger toutes les circonstances environnant un acte, ne pas tenir compte...

  • AGNOTOLOGIE

    • Écrit par Mathias GIREL
    • 4 992 mots
    • 2 médias

    Le terme « agnotologie » a été introduit par l’historien des sciences Robert N. Proctor (université de Stanford) pour désigner l’étude de l’ignorance et, au-delà de ce sens général, la « production culturelle de l’ignorance ». Si son usage académique semble assez circonscrit à la ...

  • ALEMBERT JEAN LE ROND D' (1717-1783)

    • Écrit par Michel PATY
    • 2 874 mots
    • 2 médias
    ...avec elle, d'Alembert a développé une théorie de la connaissance influencée par Locke et le sensualisme de Condillac, mais centrée avant tout sur une épistémologie de la physique newtonienne. C'est à nos sensations que nous devons nos connaissances ; la première est la conscience d'exister, qui légitime...
  • ANALOGIE

    • Écrit par Pierre DELATTRE, Universalis, Alain de LIBERA
    • 10 427 mots
    Tout langage de description ou d'interprétation théorique utilisé dans les sciences de la nature comporte une sémantique et une syntaxe, la première portant sur les « objets » que l'on met en relation, la seconde sur ces relations elles-mêmes. Les données sémantiques sont au fond des ...
  • Afficher les 157 références

Voir aussi