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ZHUANGZI

Le texte et l'exégèse du « Zhuangzi »

À l'époque du Zhuangzi, la notion d'auteur personnel d'œuvres littéraires ne s'était pas encore dégagée et le Zhuangzi n'est qu'une indigesta moles de rédaction anonyme, encore que le style porte en maints endroits la marque d'un écrivain de génie. C'est la somme scripturaire d'une école, compilée par des disciples immédiats, puis par leurs épigones au cours d'un siècle ou un peu plus : d'où de fortes disparités, de pensée et de style, qui ne facilitent pas la compréhension.

Pendant environ cinq siècles, du iie siècle avant J.-C. au iiie de notre ère, le Zhuangzi subit une éclipse qui en brisa la tradition exégétique et même, dans une large mesure, la transmission textuelle. Cette fâcheuse coupure s'explique par l'histoire générale. La doctrine libertaire du Zhuangzi, sa philosophie d'outre-monde, sa morale frondeuse qui allait contre toute autorité étatique avaient pu s'épanouir dans le désordre et le démembrement féodal de la Chine à l'époque des Royaumes combattants. Avec l'impérialisation des Qin (221-206 av. J.-C.) et des Han (206 av. - 220 apr. J.-C.) et l'instauration d'un État unifié et centralisé qui nécessitait un appareil administratif et militaire solidement structuré, l'idéologie ne put être que d'ordre essentiellement pragmatique (ou religieux), à la manière de l'impérialisme romain, et la philosophie taoïste se vit mettre entre parenthèses, au bénéfice du « légalisme » et du confucianisme. Mais, en Chine, le libertarisme a toujours conservé sa vitalité aussi bien que l'étatisme : ce sont les deux pôles du génie national ; et, lorsque, après la chute des Han, avec les invasions barbares, l'Empire retomba dans le désordre et se reféodalisa, les élites lettrées cherchèrent l'évasion dans les enseignements métaphysiques et mythiques du taoïsme. On assista alors à une véritable résurrection du Zhuangzi.

C'est au cours du iiie siècle de notre ère qu'apparurent les premiers commentaires du Zhuangzi, dont nous est parvenu celui de Guo Xiang, mort vers 313. Ce commentaire est un chef-d'œuvre philosophique et littéraire, mais il faussait complètement la pensée du Zhuangzi en un sens mi-confucianiste mi-légaliste (on a pu dire que c'est Zhuangzi qui commente Guo Xiang, non l'inverse !). Cependant, le bouddhisme s'était introduit en Chine et, au cours du ive siècle, des moines et des laïcs bouddhistes nourris de culture chinoise se mirent à commenter le Zhuangzi à la lumière de la doctrine indienne, en particulier de la théorie du « vide » (śūnyavāda) avec sa dialectique des contraires où ils retrouvaient celle du Zhuangzi. Ainsi s'établit entre philosophie taoïste et philosophie bouddhique une séculaire osmose dont un des aboutissements devait être l'école du Chan, qui est un peu du Zhuangzi mis à la sauce bouddhique. C'est également à Guo Xiang que nous devons notre recension actuelle du Zhuangzi. Il passe pour l'avoir établie en tronquant d'un tiers environ les matériaux qui étaient à sa disposition. Cette recension est divisée en trente-trois sections (pian, au propre des liasses de fiches de bambou), traditionnellement classées en « internes » (I à VII), « externes » (VIII à XXII) et « mixtes » (XXIII à XXXIII), classification qui semble purement arbitraire et dans laquelle, en tout cas, « internes » et « externes » ne sauraient s'entendre au sens d'« ésotériques » et « exotériques » comme le veulent certains. Les sections elles-mêmes sont formées de paragraphes plus ou moins longs, qui n'ont souvent aucun rapport apparent les uns avec les autres ; un des sports favoris des philologues actuels, en Chine et au Japon, consiste à procéder à des déplacements de paragraphes pour tenter d'en[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur honoraire au Collège de France

Classification

Pour citer cet article

Paul DEMIÉVILLE. ZHUANGZI [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CHINOISE (CIVILISATION) - La littérature

    • Écrit par Paul DEMIÉVILLE, Jean-Pierre DIÉNY, Yves HERVOUET, François JULLIEN, Angel PINO, Isabelle RABUT
    • 47 507 mots
    • 3 médias
    ...d'énigmes cryptiques et parfois goguenardes. Plus accessible, bien que le style en soit similaire, est le grand corpus d'écrits taoïstes qui porte le titre de Zhuangzi. Cet ouvrage ne témoigne pas seulement d'une profondeur de pensée incomparable : c'est une merveille d'art. Grâce à une imagination extraordinairement...
  • FORÊT DE BAMBOUS LES SEPT SAGES DE LA (ZHU LIN QI XIAN)

    • Écrit par Donald HOLZMAN
    • 1 452 mots
    ...sous l'autre (la musique et le vin étant proscrits par les rites en temps de deuil), Ruan Ji se noua d'amitié avec lui. Si la tradition selon laquelle le commentaire du Zhuangzi attribué à Guo Xiang (mort en 312) est en fait un plagiat basé sur l'œuvre de Xiang Xiu, celui-ci serait la troisième figure...
  • HUI SHI [HOUEI CHE] ou HUIZI [HOUEI-TSEU] (env. 370-env. 310 av. J.-C.)

    • Écrit par Kristofer SCHIPPER
    • 751 mots

    Dialecticien chinois, un des grands sophistes qui ont été rangés dans ce qu'on appelle l'« école des noms » (Mingjia), Hui Shi (ou Huizi), dont aucun ouvrage ne nous est parvenu, est l'auteur d'un système, important et original, qui est connu par son ami Zhuangzi, comme...

  • TAOÏSME

    • Écrit par Kristofer SCHIPPER
    • 8 938 mots
    • 1 média
    ...s'adonnaient au contraire à des pratiques vivifiantes. Elles ne sont mentionnées dans le Daode jing que sous forme d'allusions. C'est dans le Zhuangzi que l'on trouve des indications bien plus nettes. Le retour à l'état complet, l'union avec l'Un (c'est-à-dire le Dao que l'on peut nommer Mère...

Voir aussi