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ZHUANGZI

Zhuangzi[Tchouang-tseu], « Maître Zhuang » (zi était un suffixe apposé au nom des philosophes), est le titre d'une œuvre datant de l'Antiquité chinoise qui, sur le plan philosophique, peut se comparer aux Upaniṣad indiennes et, dans notre monde méditerranéen, aux présocratiques (beaucoup moins bien conservés). Du point de vue littéraire, c'est un chef-d'œuvre, peut-être le chef-d'œuvre de la prose poétique chinoise (parfois rimée dans les moments d'exaltation) ; elle y est maniée avec un art consommé où l'imagination, la richesse du vocabulaire, l'acuité intellectuelle, le lyrisme et l'ironie forment un bouquet qui fait le désespoir des traducteurs. La pensée, d'une profondeur et d'une humanité incomparables, n'y est presque jamais exposée d'une manière abstraite et discursive, mais à coups d'apologues, d'anecdotes vécues, de fables contées avec une verve impayable, de dialogues entre personnages soit réels ou semi-historiques, soit mythiques ou purement fictifs, par exemple des abstractions personnifiées ; le refus de l'abstraction est un trait caractéristique de la littérature philosophique chinoise, depuis les Entretiens de Confucius, antérieurs au Zhuangzi de quelque deux siècles, jusqu'aux recueils de logia des maîtres de l'école sino-bouddhique dite du Chan (« méditation » ; sanskrit : Dhyāna, sino-japonais : Zen) à la fin des Tang (viiie à ixe s.)

Avec le Laozi[Lao-tseu], bref recueil d'apophtegmes sybillins qui doit dater à peu près de l'époque du Zhuangzi, et le Liezi, dont nous n'avons qu'une recension tardive où des additions postérieures se mêlent à des éléments anciens dont beaucoup se rapprochent du Zhuangzi, celui-ci représente à la fin de la période dite des Royaumes combattants (ve-iiie s. av. J.-C.), époque d'effervescence politique et intellectuelle qui fait penser à la Grèce classique, ce qu'on devait appeler plus tard l'école du Dao (doajia, notre «   taoïsme »). Cette école s'opposait avec une virulence particulière à celle des « lettrés » confucéens (rujia, notre « confucianisme »), politisante, ritualisante et moralisante, mais aussi à d'autres écoles telles que celle de Mo Di (ou Mozi, « Micius »), humanitaire et puritaine, ou celle de Yang Zhu (ou Yangzi), anarchisante et cynique, et surtout aux « dialecticiens » ou sophistes qui cultivaient alors les jeux et paradoxes de la logique verbale et dont le Zhuangzi, hostile aux conventions du langage comme à toute espèce de convention, se raille en la personne du Hui Shi (ou Huizi), avec lequel on voit sans cesse discuter le personnage central du Zhuangzi, Zhuang Zhou, qui donne son nom à l'ouvrage.

Zhuang Zhou

« Maître Zhuang » portait le nom de famille de Zhuang et son nom personnel (son « prénom », qui en chinois se met après le nom de la famille) était Zhou. Les noms de Zhuang Zhou, Zhuangzi ou Zhou tout court figurent à maintes reprises dans le texte, sans qu'il soit toujours facile de savoir s'ils doivent s'entendre à la troisième personne ou – comme c'est naturellement le cas dans les dialogues – à la première. D'après les données contenues dans le Zhuangzi, c'était un homme marié, père de famille, pauvre, « vêtu de toile rapiécée et chaussé de loques » et qui, selon ses principes, aurait refusé un poste de ministre. À en croire un historien postérieur de deux siècles, dont le père était taoïste et qui devait avoir accès à des documents de l'école, Zhuang Zhou aurait vécu à l'époque d'un roi de Liang qui régna de 370 à 318 et il aurait occupé un poste d'employé dans un parc d'arbres à laque (ou est-ce un simple toponyme ?) relevant d'un petit État de la Chine centrale que se disputaient les principautés voisines. Il a certainement connu le sophiste Hui Shi, qui fut[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur honoraire au Collège de France

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Autres références

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