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VOLTE-FACE,, film de FACE/OFF

Le cinéma comme pyrotechnie

Les producteurs du film l'avaient d'abord conçu comme film de science-fiction, destiné à deux monstres sacrés de l'affrontement viril, Arnold Schwarzenegger et Sylvester Stallone. C'est sur les instances de Woo qu'on préféra Travolta et Cage, acteurs également populaires, mais plus complexes, marqués par des rôles de pervers (Pulp Fiction de Quentin Tarantino, 1994, pour le premier, Sailor et Lula, de David Lynch, 1990, pour le second). De la science-fiction, il ne reste que des traces : le « masque morphogénétique » qui permet d'échanger les visages, la prison futuriste où chaque homme est repéré par ses lourdes bottes magnétiques, et, plus discrets, des noms hautement symboliques, Erewhon pour la prison (anagramme de nowhere, reprenant le titre de l'utopie de Samuel Butler, 1872), Castor et Pollux pour les deux fous criminels (dont le patronyme en outre est Troy, Troie).

Les films hongkongais de Woo mettaient en scène policiers et mafieux de convention, multipliant les scènes de massacre sans souci de réalisme ; on y lisait à nu une double référence aux deux pôles du maniérisme, le pôle brûlant de La Horde sauvage (The Wild Bunch) de Sam Peckinpah (1969) et le pôle glacé du Samouraï (Jean-Pierre Melville, 1967). Volte-face reprend cet oxymore stylistique, mettant en conjonction, d'une part, les effets de montage les plus acrobatiques, le passage du très gros plan au plan d'ensemble, les angles bizarres, les vitesses contradictoires, et, d'autre part, la froideur absolue de combats irréels, où seule compte l'attitude de celui qui vise, et où le résultat (les morts) n'est qu'une conséquence abstraite. L'autre moitié du film, celle qui met en valeur les deux vedettes (chargées l'une et l'autre d'incarner successivement deux personnages que tout oppose), est d'un style quasi classique, et le film dans son ensemble est le curieux assemblage de l'héritage du drame dialogué et du film d'action pure.

Sans doute sensible au compromis qu'il était en train de passer, Woo a multiplié les allusions à ses films connus, et l'on retrouve sans surprise le tueur aux deux pistolets dans le dos, le visage qui n'est perçu que par son reflet dans des lunettes (moyen commode de figurer la face à nu, sans visage, de Castor Troy), le duel final dans une église, la colombe qui s'envole avant la fusillade... Surtout, il semble avoir voulu compenser le relatif statisme des scènes de psychologie par une surenchère dans le dynamisme des scènes d'affrontement. On a pu dire que « les films de John Woo sont autant de réponses à une question : „comment permettre à un corps de s'envoler ?“ » (Nicole Brenez, Positif, 1999). Ici, c'est l'ensemble de l'image qui semble destiné à voler dans les airs, pour se dissoudre en parcelles de lumière, faisant de ce film une pyrotechnie géante, où les fusées sont aussi bien électriques qu'humaines.

— Jacques AUMONT

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, directeur d'études, École des hautes études en sciences sociales

Classification

Pour citer cet article

Jacques AUMONT. VOLTE-FACE,, film de FACE/OFF [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • WOO JOHN (1946- )

    • Écrit par Frédéric STRAUSS
    • 1 012 mots
    • 1 média

    Volte/Face (Face/Off, 1997), le vingt-cinquième film de John Woo après vingt-cinq ans de carrière, est aussi le premier à avoir porté à la connaissance d'un large public le style flamboyant de ce réalisateur de Hong Kong devenu maître du cinéma d'action à Hollywood. Découverts...

Voir aussi