VERMEER DE DELFT (1632-1675)
Vermeer et ses contemporains
À partir de 1650 environ, d'éminents artistes s'établirent à Delft, cité qui n'avait pas été antérieurement un des hauts lieux de la peinture. Carel Fabritius (1622-1654), qui avait commencé comme peintre d'histoire dans le style de son maître Rembrandt, s'y installa vers 1650. Il recherchait les effets de justesse naturelle dans ses trompe-l'œil. Avec son ami Samuel van Hoogstraeten il créa les premières natures mortes en trompe-l'œil et construisit des « boîtes perspectives », comme celle de la National Gallery de Londres, où l'œil regardant à travers un oculaire a l'illusion presque parfaite de voir avec la troisième dimension un intérieur du xviie siècle. Peu après 1650, Emmanuel de Witte, présent à Delft, éleva à un niveau inégalé l'art de reproduire les intérieurs d'églises.
Ces innovations, qui eurent une importance décisive pour son œuvre ultérieure, n'affectèrent pas Vermeer au premier abord. La composition de son Entremetteuse de 1656 est encore conçue entièrement comme un plan sans profondeur. Elle est dérivée d'une peinture déjà surannée, datée de 1624, de Dirck van Baburen, successeur de Caravage à Utrecht, et que Vermeer possédait (maintenant au museum of Fine Arts, Boston). L'idée d'illustrer une scène érotique lui aura été soufflée par le haut niveau artistique auquel parvinrent Jacob van Loo, Gerbrand van den Eeckhout (qui avaient débuté tous deux comme peintres d'histoire), et Gerard ter Borch peu après 1650, dans leurs scènes galantes, riches de sous-entendus érotiques. Ce n'est que dans La Jeune Femme assoupie (Metropolitan Museum, New York, env. 1657) que Vermeer s'avère complètement acquis au pur tableau de genre ; pourtant, dans cette œuvre, la profondeur n'est encore suggérée qu'imprécisément. L'œuvre de son contemporain Pieter de Hooch dut l'inciter à se reconvertir complètement. Celui-ci habita Delft à partir de 1655 et réussit dans une série de peintures datant d'environ 1658 à traiter le motif de la scène galante dans un espace intérieur tout à fait réaliste, également éclairé : de Hooch aboutit donc à une synthèse des œuvres de Van Loo et de ter Borch d'une part, de Fabritius et de son entourage d'autre part. Simultanément de Hooch, se fondant là aussi sur des expériences de Fabritius, mena à une perfection sans rivale la représentation d'extérieurs en pleine lumière du jour. Vermeer commença par simplifier, réduire ce qu'il voyait chez de Hooch. À trois reprises au cours des années 1658-1661, il plaça une ou deux figures à mi-corps dans le coin près de la fenêtre de la même pièce : Le Soldat et la jeune fille riant (coll. Frick, New York), La Liseuse (Gemäldegalerie, Dresde) et La Laitière (Rijksmuseum, Amsterdam). Il ne surpassa de Hooch sur son propre terrain que plus tard dans La Jeune Fille et le verre de vin (musée de Dahlem, Berlin) où deux figures sont placées en pied autour d'une table dans une pièce spacieuse. Vermeer voyait dans ces tableaux le moyen de rendre l'éclat de la lumière solaire incidente tout à fait crûment, ce que les manuels d'alors jugeaient irréalisable. Il est bien probable que Vermeer y réussissait en peignant en grande partie d'après nature le tableau définitif, et pas seulement des morceaux et des croquis préalables, ce qui était inaccoutumé à l'époque. Pour ce faire il se servait vraisemblablement d'une chambre noire. Vermeer modifia sa technique de façon à faire ressortir limpidement le déroulement spatial et à provoquer la sensation non seulement visuelle mais pour ainsi dire tactile des différences de texture entre le bois poli, une tenture rugueuse et une soierie chatoyante. Il avait remarqué que l'œil perçoit les parties éclairées par le[...]
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Écrit par
- Albert BLANKERT : conservateur, Amsterdams Historisch Museum, Amsterdam
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Pour citer cet article
Albert BLANKERT, « VERMEER DE DELFT (1632-1675) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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Jeune Garçon apportant des grenades , P. de Hooch
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Jeune Garçon apportant des grenades , P. de Hooch
Pieter de HOOCH, Jeune Garçon apportant des grenades, huile sur toile. Wallace Collection, Londres.
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