LANGUES TYPOLOGIE DES
Recherches actuelles
Les voies de recherche pour l'élaboration de typologies sont aujourd'hui foisonnantes. Elles s'attachent aussi bien aux questions portant sur les marques de genre, nombre, cas, associées au nom ; de temps, aspect, voix, associées au verbe ; sur la distribution des pronoms ; sur les particularités de la qualification ; sur les questions d'énonciation (marques de temps, lieu, personnes mis en œuvre par celui qui parle) ; sur l'expression de la temporalité et de la spatialité ; sur la répartition des prépositions et postpositions (langues à prépositions/langues à postpositions) ; sur les questions de variations référentielles ; sur les procédés de mise en valeur des éléments dans la phrase, etc. Sans oublier les nombreux essais de reconstruction, qui sont à l'origine de la typologie comme discipline. Il reste qu'on distingue rigoureusement aujourd'hui l'analyse des langues historiquement apparentées de la typologie, qui se fonde sur l'homologie des structures. L'idée centrale demeurant d'examiner, à travers la diversité des langues, les caractères qui convergent sous forme de constantes, en essayant de les inscrire dans des types.
Les structures d'actance
On peut citer parmi les voies de recherche les plus prometteuses celles qui ont trait à la structure des énoncés et qui sont axées sur les structures d'actance (organisation des éléments autour du verbe ou de l'élément de type verbe). On observe en effet des schèmes d'organisation des actants autour du verbe, qui apparaissent constants dans les langues (Lazard, 2008 et passim). Soit une phrase dont le sens général est celui d'un agent humain exerçant une action sur un patient, on aura dans les langues deux grands types de structure :
– X V Y : soit X = « sujet » (actant 1) ; V = « verbe » ; Y = « complément » (actant 2) ;
– ou bien une structure syntaxique de type
Z V : soit Z = « sujet » (actant 1) ; V = « verbe ».
En observant les marques attribuées dans les langues à X, Y et Z, on peut classer les langues selon que X est marqué ou non. X est marqué dans certaines langues, notamment en basque où il est à l'ergatif (renvoyant à l'agent du procès). On peut donc répartir les langues en langues ergatives (basque, langues tibétaines, etc.) et en langue dites accusatives, dans lesquelles X n'est généralement pas marqué, mais où Y peut l'être. Cette réduction des éléments de l'énoncé à des symboles algébriques a notamment pour avantage d'échapper aux connotations de « sujet », « complément », etc. D'où la possibilité de mieux asseoir des proximités typologiques.
Les données sémantiques
Une autre voie de recherche actuelle s'appuie davantage sur les données sémantiques. Le cadre d'analyse est différent, car il tente de refléter celui qu'offrent les éléments d'expérience identifiables dans les langues. Pour parler des affects, Hagège (2006), par exemple, s'appuie sur une classification préétablie fondée sur des catégories de différents types :
– la perception : « percevoir », « entendre », « voir », etc. ;
– les événements physiques (affects de santé, expériences physiologiques, sensations, conditions passagères) : « avoir le nez bouché », « avoir la chair de poule », « avoir le hoquet », « sentir des chatouillements », « renifler », « pleurer », « transpirer », « tousser », « vomir », etc. ;
– les émotions et sentiments : « aimer », « être angoissé », « être en colère », « être content », « être découragé », « être déçu », « être triste », etc.
Cette classification a le mérite d'être concrète et de partir d'évènements bien représentés. Elle permet notamment de situer dans les langues les idéophones (mots ou onomatopées soulignant un contenu subjectif). En yoruba par exemple (langue de la famille nigéro-congolaise, sous-famille kwa), tùùlutùùlu vaut pour « très essouflé » (ibidem, p. 99). Cette classification permet aussi de repérer dans les langues les particules affectives. Enfin, elle permet de regrouper et de mesurer certains phénomènes d'intonation, des langues pouvant avoir des courbes mélodiques proches pour marquer des affects semblables. Les démarches dans cette direction sont prometteuses, d'autant qu'elles peuvent s'appuyer sur des méthodes de nature cognitive qui s'efforcent d'élaborer des classifications sur la base de stimuli interprétés par des locuteurs (Linguistique typologique, p. 51).
On voit donc évoluer deux grands types d'approche pour la typologie des langues. Une approche déductive, qui part de cadres conceptuels de nature sémantique, susceptibles de regrouper des faits de langue et d'en faire des cadres typologiques ; une approche inductive, qui s'attache davantage à partir des langues, particulièrement d'un point de vue structural. Ces deux démarches restant imbriquées et complémentaires, car on ne peut penser classer les langues sans regarder ce qu'elles disent, ni classer les faits linguistiques sans élaborer les cadres conceptuels susceptibles de les regrouper.
Face aux avancées de cette typologie structurale, la « typologie génétique » n'a évidemment pas disparu, toutes deux ayant vocation à se rejoindre. On assiste même à des reconstructions impressionnantes, qui tendent à relier la famille des langues indo-européennes à celle des langues eurasiatiques (de l'Europe à l'extrémité de l'Asie en remontant vers le pôle). Dans ces langues on retrouve, par exemple, assez largement -m comme marque de la première personne (Greenberg, 2000). On peut cependant être surpris par la ténuité de certains indices, comme celui du mot désignant la pierre, qu'on retrouverait en étrusque tul et coréen tol, avec des vestiges dans la famille des langues turques. Ici, aussi bien la typologie que la reconstruction trouvent leurs limites. Par exemple, où classera-t-on des langues comme le sumérien (-2500 av. J.-C. environ), dont on sait seulement que c'était une langue de type agglutinant ?
En tout état de cause, la typologie génétique (qui s'appuie sur une parenté entre langues) et la typologie non génétique tendent à diverger. Cela d'autant que, même à l'intérieur d'une même famille ou d'un même groupe de langues, les langues tendent à se différencier, effet inévitable de leur incessante évolution.
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Écrit par
- Loïc DEPECKER : agrégé de grammaire, docteur en linguistique, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne
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