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LANGUES TYPOLOGIE DES

À la recherche des universaux

Partis de la volonté de classer les langues pour mieux les décrire et les comprendre, les typologues ont débouché à partir des années 1960 sur la question des universaux : qu'est-ce qui, dans les langues, reste suffisamment constant pour permettre de conclure à une universalité ?

Plusieurs théories linguistiques se sont trouvées engagées de fait dans cette direction, que ce soit le fonctionnalisme (André Martinet) ou le générativisme (Noam Chomsky). Mais, aussi convaincantes et efficaces que soient les démonstrations, ces théories offrent surtout une base commune dans laquelle reconnaître des structures et des modes de fonctionnement des langues. Cependant, du point de vue de la typologie des langues, elles s'avèrent trop générales pour permettre de distinguer les langues entre elles, de rendre raison de leurs particularités et de décrire les constantes de l'une à l'autre.

Universaux absolus et universaux relatifs

Il y a, de fait, plus que des nuances entre décrire le fonctionnement général des langues ; décrire une langue particulière ; et décrire ce qui est suffisamment constant dans les langues pour permettre de les comparer et de les inscrire dans des types. Même si plusieurs voies avaient été précédemment ouvertes (Hagège, 2002), c'est encore l'article de Greenberg paru en 1963 qui contribue à orienter la typologie dans la direction des universaux (angl. universals). Greenberg y énonce 45 universaux, en se fondant sur trois critères principaux : la présence de prépositions ou postpositions ; l'ordre sujet/verbe/objet dans les phrases où sujet et objet sont des groupes nominaux ; la position des adjectifs qualificatifs par rapport au nom.

On a également tenté d'aborder les universaux en les classant en universaux absolus et universaux relatifs. Les universaux absolus étant censés se rencontrer en toute langue : ainsi, toute langue comporte des voyelles et des consonnes, toute langue exprime la négation, etc. Mais ce choix reste très général et la diversité des langues force à beaucoup de prudence.

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Les universaux relatifs représentent quant à eux des constantes observables dans les langues. En ce qui concerne les universaux phonétiques, on remarque par exemple que les langues ont une structure en voyelles et consonnes. Mais la tendance est à la structure CV (consonne-voyelle) plus qu'à la structure CVC. Hors de considérations générales, on ne peut que cerner certaines familles par des traits caractéristiques. Ainsi, la famille des langues mayas se caractérise notamment par des séries de sons glottalisés.

Il existe aussi tout un ensemble d'études typologiques centrées sur les universaux morphologiques. Les essais dans cette direction s'efforcent de situer les universaux attachés au verbe : la personne, le nombre, le temps (all. Zeitwort), l'aspect (façon dont se déroule le procès), éventuellement le genre. Les universaux attachés à l'adjectif ou au nom : principalement nombre, genre, accord, cas. Les universaux attachés au pronom : indépendamment des propriétés qu'il peut avoir en commun avec le nom, on n'a pas d'exemple de langue où n'existerait pas d'indice de personne pour désigner au moins les deux personnes principales de l'interlocution, je et tu, protagonistes essentiels du dialogue et de l'énonciation. La distribution des pronoms dans les langues donne également lieu à de vastes descriptions et rendent compte de propriétés variées : je et tu susceptibles d'être répartis en masculin et féminin ; la deuxième personne pouvant s'articuler en plusieurs séries en fonction de la proximité avec l'interlocuteur (flamand gij/jij/u) ; je s'effaçant dans plusieurs langues asiatiques en signe de révérence, selon des formes honorifiques ou humilifiques, etc.

Quant à la dimension sémantique, il est sûr que, d'une langue à l'autre, du sens passe. On ne pourrait, sinon, ni les comprendre ni les traduire. Mais peut-on concevoir des universaux sémantiques ? Dans l'absolu, tout signe est unique en lui-même : dans une langue, aucun signe n'est semblable à un autre, en raison notamment de son fonctionnement et de sa dimension sémantique (son sémème). A fortiori, aucun signe, d'une langue à l'autre, n'est semblable à un autre signe. Le découpage de l'expérience se trouve dès lors catégorisé dans les langues de façon irréductible et on se trouve en face de représentations sémantiques qui diffèrent nécessairement d'une langue à l'autre.

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Rien n'empêche cependant de s'efforcer, d'un point de vue relatif, de constituer des classes sémantiques (par exemple pour le classement des couleurs) à partir des catégories élaborées par les langues. Ce qui pose la question de l'existence de concepts universels qui seraient présents dans les langues, en vertu de l'expérience partagée par les humains.

La recherche des invariants

Que ce soit du point de vue de la phonétique, de la morphologie, de la sémantique, les typologues sont en quête de constantes susceptibles d'inférer des invariants. Ceux-ci sont généralement définis comme des catégories interlinguistiques exprimées grammaticalement dans les langues. L'une des orientations de la typologie étant de passer de constantes à des invariants, d'invariants à des implications, et de là à des universaux implicatifs (si p alors q (p ⇒ q). Par exemple, si le pronom complément d'objet suit le verbe, le groupe nominal également. Ces implications restent cependant difficiles à appliquer pour la phonétique, la morphologie et la sémantique, qui demeurent généralement ce qu'il y a de plus caractéristique d'une langue.

L'une des approches typologiques les plus riches reste sans doute pour le moment celle qui repose sur la syntaxe. L'un des points dominants étant la structure qui s'articule autour du verbe ou de l'élément de type verbe : SVO, SOV, VSO, etc. On constate par exemple que des combinaisons de type VOS ou OVS sont des structures de base peu fréquentes dans les langues. Il est possible, à partir de là, de classer les langues selon qu'elles favorisent un ordre adjectif-nom ou nom-adjectif, proposition relative-nom, nom-proposition relative, etc.

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En tout état de cause, même si certaines hypothèses s'avèrent, pour certaines langues, robustes, on ne saurait généralement que s'en tenir, en matière d'invariants, à des tendances. On remarque des structures plus ou moins dominantes, et entre les langues des degrés de proximité ou de ressemblance sur une échelle de valeurs. Ainsi de la transitivité : plus le complément d'objet est défini, représente un humain ou un animé, plus la liaison au verbe aura tendance à être marquée. La gradation est souvent fine : si les langues se répartissent généralement entre un pôle de langues accusatives et un pôle de langues ergatives, on trouve entre ces deux types des langues ayant l'une et l'autre structure (cas des langues dites « duales »). On doit donc envisager ce que nous pourrions appeler des « invariants dynamiques », constantes en évolution dans les langues. Ainsi, des langues qui présentent des structures de type SOV peuvent tendre à se recomposer en structures SVO. La quête d'universaux est certes une visée exaltante. Si on regarde cependant les faits linguistiques objectivement, on ne peut que conclure à des tendances, fondées sur des corrélations : à savoir sur des relations invariantes.

Au final, qu'est-ce qui émerge véritablement de telles recherches sur la typologie des langues ? Nous ne dirons pas, comme l'avançait Greenberg, que les grandes structures des langues tendent à suivre l'expérience physique ou l'ordre du savoir. Car les langues révèlent souvent des modes d'organisation qui se situent souvent très loin de la logique attendue. Mais on peut s'attendre à retrouver partout une structure d'énoncé non-prédicat/prédicat. Et, à titre de tendance, à trouver des constantes principalement dans l'organisation de la phrase. Cela dans la mesure où cette organisation est d'ordre logique. La question reste de savoir si cette logique est d'ordre universel, l'extension de la description à des langues qui n'avaient pas encore été décrites ne cessant de poser de nouvelles questions. La classification des langues débouche ici sur d'autres problématiques et d'autres disciplines.

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Écrit par

  • : agrégé de grammaire, docteur en linguistique, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne

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