TROUBETZKOY ou TROUBETSKOÏ NIKOLAÏ SERGUEÏEVITCH (1890-1938)
Né à Moscou dans une famille de la haute aristocratie, de père universitaire, Troubetzkoy s'intéresse très tôt (dès l'âge de treize ans) à l'ethnographie, puis à la sociologie et à l'histoire : ses premiers articles sont publiés alors qu'il est à peine âgé de quinze ans. Il entre à l'université, où il étudie la grammaire comparée des langues indo-européennes, pensant trouver dans ce domaine une approche scientifique des problèmes linguistiques. Il étudie les langues du Caucase puis, à Leipzig, le sanskrit et l'avestique, et soutient en 1916 une thèse sur le futur en indo-européen. Il enseigne à Moscou puis, après la révolution, à Rostov, à Istanbul, à Sofia, avant de se fixer en 1922 à Vienne, où il enseignera jusqu'en 1938.
N. S. Troubetzkoy s'est surtout consacré à l'étude des faits phoniques dans le langage, et c'est à ce titre qu'il est aujourd'hui universellement connu. Héritier de Saussure (dont il connaît les travaux par l'intermédiaire de Serge Karcevski, qui a étudié dix ans à Genève) et de Baudouin de Courtenay, il travaille à la fois sur l'hypothèse de la distinction langue-parole (Saussure) et sur celle de la distinction entre physiophonétique et psychophonétique (Courtenay), qui vont le mener à opposer la phonétique à la phonologie. Il aura des contacts étroits avec Roman Jakobson, contacts essentiellement épistolaires, au point qu'il est difficile de savoir à qui attribuer un certain nombre de théories qui apparaissent tout au long de cette période. Jakobson et Troubetzkoy se retrouvent en 1928 au Cercle linguistique de Prague, et il est aujourd'hui certain que la rédaction définitive des thèses proposées par ce cercle au Congrès international des linguistes (La Haye, 1928) et co-signées par Troubetzkoy est due à Jakobson. Mais cela ne prouve rien quant à la participation de Troubetzkoy puisque les travaux du Cercle linguistique de Prague étaient le plus souvent menés de façon collective. Ce qui importe pour l'histoire de la phonologie, c'est que le Cercle linguistique de Prague va désormais se manifester dans de nombreux congrès (entre autres ceux de Prague en 1929, d'Amsterdam en 1932, de Rome en 1933, de Copenhague en 1936) avec des vues novatrices sur les problèmes phonologiques, et que Troubetzkoy joue un rôle fondamental dans cette élaboration. Il semble en outre que l'influence des formalistes russes, grande sur Jakobson, n'ait que peu touché Troubetzkoy.
Toutes les publications de Troubetzkoy s'orientent dès 1928 vers la phonologie. On peut citer, parmi ses nombreux articles sur la question, « Zur allgemeinen Theorie der phonologischen Vokalsysteme » (« Théorie générale des systèmes vocaliques », in Travaux du Cercle linguistique de Prague, I, 1929), Anleitung zu phonologischen Beschreibungen (Guide pour les descriptions phonologiques, Brno, 1935), « Essai d'une théorie des oppositions phonologiques » (Journal de psychologie, 1936). L'ensemble de la pensée de Troubetzkoy en matière de phonologie est exposé dans les Grundzüge der Phonologie publiés après sa mort (1939) et traduits en français par Jean Cantineau (Principes de phonologie, Paris, 1949). Les Principes de phonologie sont à la fois l'ouvrage de référence de la phonologie pragoise, un manifeste et le manuel indispensable à quiconque s'intéresse à ce domaine.
Bien entendu, Troubetzkoy doit beaucoup à ses nombreux précurseurs, parmi lesquels (outre Saussure et Baudouin de Courtenay, déjà cités) Passy, Jones ou Chtcherba. Mais il est le premier à systématiser l'approche fonctionnelle des faits phoniques de la langue, et à définir le phonème de façon scientifique. C'est lui qui met au jour la notion de pertinence : seront considérées comme pertinentes les oppositions phonologiques qui contribuent à la distinction[...]
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Écrit par
- Louis-Jean CALVET : docteur ès lettres et sciences humaines, professeur à la Sorbonne
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