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JURINAC SENA (1921-2011)

Sena Jurinac - crédits : Erich Auerbach/ Hulton Archive/ Getty Images

Sena Jurinac

Le talent vocal peut-être le plus spontané, le plus neuf que l'après-guerre ait connu s'est paradoxalement développé, couvé, à l'abri de l'institution que l'après-guerre allait désastreusement périmer : l'Ensemble. Et l'Ensemble auquel Sena Jurinac (Srebrenka Jurinac, née le 24 octobre 1921 à Travnik, en Yougoslavie, aujourd'hui Bosnie-Herzégovine), appartint tout au long de sa longue carrière fut et demeure l'Opéra de Vienne. Elle y a chanté plus de mille deux cents fois, établissant un record des Temps modernes. Karl Böhm l'y a appelée pour interpréter Mimì de La Bohème de Puccini en 1943, alors qu'elle effectuait ses débuts à Zagreb. Elle fut ensuite le Cherubino des Noces de Figaro par lesquelles Josef Krips tenait, dès le 1er mai 1945, à témoigner que, si l'Opéra était détruit par les bombes, Vienne continuerait de vivre en musique et en Mozart. Jurinac a chanté à Vienne tout le répertoire imaginable, y compris Offenbach et Johann Strauss. Mais d'emblée, à Milan comme à Salzbourg, avec Karl Böhm comme avec Herbert von Karajan, elle s'affirmait comme une mozartienne d'exception. Fritz Busch l'appela très tôt à Glyndebourne, dont elle illumina l'Ensemble dix saisons de suite, participant à la résurrection d'Idomeneo, et y chantant ses seules Fiordiligi de Così fan tutte. Cherubino et Octavian du Chevalier à la rose de Richard Strauss furent les grands rôles travestis de Jurinac jeune. Le temps venu, elle les remplaça par la Comtesse des Noces et la Maréchale du Chevalier. Elle demeura fidèle à l'Europe, seule chanteuse de son rang et de son renom qui n'ait pas paru à l'affiche du Metropolitan Opera de New York. De même, elle refusa l'invitation de Wieland Wagner, trop baroque et remuante de nature, disait-elle avec humour, pour accepter les immobilités hiératiques de son Tannhäuser gothique. Non que Jurinac ait craint ou fui l'aventure. Tout au contraire. Elle n'hésita même jamais à aller au-delà de son réel format vocal, quand un personnage l'attirait. Klemperer l'invita dès 1961 à être sa Leonore dans Fidelio de Beethoven, à Londres, à Zurich et à Florence. Elle reprendra le rôle en 1969, dans une mise en scène de Giorgio Strehler. Aucune chanteuse de cette époque n'a été aussi proche d'un public que Jurinac le fut de celui de Vienne. Son nom signifiait à la fois perfection instrumentale et justesse juvénile du jeu. Choisissant Glyndebourne, elle laissait par là même Salzbourg et ses rôles mozartiens à Irmgard Seefried ou à Elisabeth Schwarzkopf. On l'y voit pourtant, inoubliable Élisabeth de Valois, dans Don Carlo de Verdi, et Marina, dans Boris Godounov de Moussorgski, sous la direction de Karajan. Le récital et le concert requirent beaucoup moins une artiste essentiellement scénique. Pour cette même raison, jamais le studio ne l'utilisa au mieux de ses moyens, à l'exception d'un Cherubino pour Karajan et d'un Chevalier pour Erich Kleiber. Du moins son Chevalier scénique survit-il dans le film tourné à Salzbourg en 1960, à l'occasion de l'inauguration du nouveau Palais des festivals. Par ailleurs, sa Marie dans le Wozzeck d'Alban Berg, tourné par Rolf Liebermann à Hambourg en 1970, immortalise une des incarnations lyriques les plus géniales de notre temps.

Sena Jurinac fait ses adieux à la scène dans la Maréchale, à l'Opéra de Vienne, en novembre 1982. Elle meurt à Hainhofen, près d'Augsbourg, le 22 novembre 2011.

— André TUBEUF

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure

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Pour citer cet article

André TUBEUF. JURINAC SENA (1921-2011) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Sena Jurinac - crédits : Erich Auerbach/ Hulton Archive/ Getty Images

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