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JOHNSON SAMUEL (1709-1784)

Le fondateur de la critique moderne

De son œuvre considérable, souvent touffue, redondante ou anecdotique, tout imprégnée des thèmes et nourrie de l'actualité du siècle, surnagent deux poèmes, un court roman et des essais critiques de grande valeur.

Les poèmes, London (1738) et La Vanité des désirs humains (1749), imités de la Troisième et de la Dixième Satirede Juvénal, qui sont empreints de la phraséologie classique que Pope avait portée, semble-t-il, à sa perfection, ont cependant plus de rigueur dans la diction, plus de hauteur et de portée morale dans le didactisme. Ils ont fait l'objet de rééditions, et reçu un tribut d'admiration de T. S. Eliot et de quelques critiques contemporains.

Rasselas, « roman » didactique gravement écrit, comporte plus de discussions que d'aventures, puisqu'il s'agit en quelque sorte d'une quête du bonheur à laquelle se livre le prince d'Abyssinie, sortant de sa vallée heureuse pour connaître l'expérience du monde. Il se trouve que de son voyage en Égypte, il ne rapporte que des conclusions mélancoliques. Pour une raison ou pour une autre, tous les hommes sont insatisfaits et malheureux. Seule la vertu peut, sans doute, apaiser la conscience, et faire croire à la possibilité du bonheur. Ce Rasselas n'a pas les illusions de Candide, ni non plus son ironique vitalité.

L'œuvre critique, outre les essais du Rambler qui visent à inculquer au lecteur un goût pour la sagesse et la vertu, mais où Johnson s'efforce aussi d'écrire une prose compacte et raffinée, comprend de très nombreux essais, d'inégale valeur, mais toujours importants par quelque côté, parmi lesquels se distinguent son admirable Préface au Dictionnaire, sa Préface et ses notes à l'édition de Shakespeare, et ses Vies des poètes.

Il convient d'ajouter que dans La Vie de Cowley (poète célèbre du début du xviie siècle) le Dr. Johnson a donné une définition de wit qui fait toujours autorité : « Wit (...) may be (...) considered as a kind of discordia concors, a combination of dissimilar images, or discovery of occult resemblances in things apparently unlike » (« L'esprit – ou l'acuité de l'esprit – (...) peut être (...) considéré comme une espèce de discordia concors, ou combinaison d'images dissemblables, ou découverte de ressemblances occultes dans des choses apparemment différentes »).

On peut dire que Johnson est l'instigateur de la critique moderne, par l'importance qu'il attache à l'analyse réfléchie d'un texte littéraire dont il veut pénétrer la signification, en même temps qu'il scrute les procédés d'écriture, véhicules de l'émotion ou de la pensée que l'auteur s'efforce d'exprimer. Son analyse n'est d'ailleurs pas tellement textuelle, mais elle porte sur l'ordonnance du discours, la qualité des images, la portée, enfin, de l'ensemble sur l'esprit du lecteur. C'est une critique profondément sérieuse, tout entachée, il est vrai, d'un moralisme d'époque, mais cependant universel, en ce que l'œuvre d'art est faite pour instruire, explicitement ou implicitement, autant que pour plaire. De plus, Johnson prend des positions, porte des jugements de valeur, au nom de ce qu'il faut bien appeler le goût, le sens commun, et l'intuition personnelle. Ses jugements ne sont pas toujours infaillibles, ni ses condamnations sans appel. Mais personne mieux que lui n'a circonscrit la qualité de ce qu'on a appelé « l'esprit métaphysique », ni mieux, c'est-à-dire de façon plus désintéressée, contribué à placer la critique shakespearienne sur le plan où elle se situera longtemps, celui de la « connaissance du cœur humain ». Si cette critique est dépassée par l'accent mis aujourd'hui sur le génie poétique et linguistique de Shakespeare, elle n'en reste pas moins passionnante par sa totale sincérité.[...]

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Écrit par

  • : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines d'Aix-en-Provence

Classification

Pour citer cet article

Henri FLUCHÈRE. JOHNSON SAMUEL (1709-1784) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Samuel Johnson - crédits : Rischgitz/ Hulton Archive/ Getty Images

Samuel Johnson

Autres références

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    Dans la seconde moitié du siècle, l'idéal classique s'incarne dans Samuel Johnson (1709-1784). Il jouit auprès des Anglais d'une position semi-légendaire qui rivalise presque avec celle de John Bull comme incarnation des traits essentiels du caractère britannique. L'Anglais typique, selon John Bailey,...
  • BOSWELL JAMES (1740-1795)

    • Écrit par Universalis, Frederick A. POTTLE
    • 730 mots

    Mémorialiste britannique né le 29 octobre 1740, à Édimbourg, mort le 19 mai 1795, à Londres.

    Fils de lord Auchinleck, riche aristocrate, le jeune Boswell suit les enseignements de précepteurs privés. De 1753 à 1758, il étudie les arts, puis le droit à l'université d'Édimbourg. Envoyé par son père...

  • DICTIONNAIRE

    • Écrit par Bernard QUEMADA
    • 7 965 mots
    • 1 média
    ...leurs colonnes et remplacer, ou compléter, les exemples succincts et anonymes. En Angleterre, faute de pouvoir faire appel à l'autorité d'une académie, Samuel Johnson (1755) avait dû emprunter aux grands écrivains de nombreuses citations. Il démontrait ainsi qu'un ouvrage non encyclopédique pouvait être...
  • GOLDSMITH OLIVER (1728-1774)

    • Écrit par Jean DULCK
    • 1 030 mots
    ...Martheile de Bergerac, protestant condamné aux galères après la révocation de l'édit de Nantes, et collabore à divers journaux. Grâce à sa rencontre avec Samuel Johnson (1761) et à l'influence de ce dernier, il réussit à s'imposer dans le monde des lettres. Tout en continuant des travaux de polygraphie,...

Voir aussi