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AVEDON RICHARD (1923-2004)

Les portraits

Cette activité commerciale ne peut le satisfaire. Elle se double depuis longtemps d'une autre, essentielle, de portraitiste. Avedon s'adonne au portrait en photographiant, avec un incontestable bonheur d'expression, artistes et intellectuels, ainsi que politiques – tous gens de pouvoir. Chaplin diabolique ou diabolisé (1952), Marilyn Monroe tour à tour rayonnante ou défaite, la même année (1957) que le duc et la duchesse de Windsor, ou encore Ezra Pound (1958), plus seuls, mais aussi plus présents que jamais – et Marcel Duchamp fragile (1968), après Marian Anderson (1955) irradiant l'énergie de son chant.

Le 21 octobre 1976, le photographe offre aux États-Unis le miroir de leur élite, à travers soixante-neuf portraits que publie le magazine Rolling Stone, sous le titre The Family. Avedon excelle dans les portraits de groupe, de Warhol avec les figures de la Factory ou des Sept de Chicago (1969) comme des décideurs du Mission Council à Saigon (1971). À la qualité de chaque effigie s'ajoute celle d'un montage en polyptyques procédant de mises en page audacieuses (visages, silhouettes coupés) et, dans le cas d'expositions, de grands formats et d'accrochages contraires à toutes les conventions, pour un effet maximum.

Philippe Dubois évoque l'élémentaire « dispositif de dépouillement, dur et provocateur, qui n'est pas sans cruauté et qui atteint parfois au sublime ou au pathétique, comme dans la série, qui fit scandale lorsqu'elle fut exposée au MoMA de New York, en 1974, des sept portraits qu'Avedon tira de son propre père de 1969 à 1973 et qui montrent sur les traits du visage de cet octogénaire la progression terrible du cancer qui devait l'emporter. On y lit, pas à pas, l'appréhension, la terreur, le désespoir et la résignation, qui sont en fin de compte les sentiments mêmes, universels, qui agitent chacun d'entre nous face à un objectif photographique, face à l'image de notre propre mort. Jamais sans doute la puissance de mort de la photographie ne se marqua avec autant de force ».

Avedon, pourtant, n'est pas dupe, et mesure la facilité qui parfois peut l'emporter. Il se souviendra que, à la fin des années 1960, « l'appareil prenait les photos tout seul. Quand je cadrais les gens qui étaient là, quand je les regardais à travers l'objectif, je ne les voyais plus, je ne les voyais pas non plus me regarder – alors que c'est justement ce lien, authentique, qui fait le portrait ».

En 1979, le photographe réalise ce qui manque au portrait qu'il entend dresser de l'Amérique de son temps : l'image d'anonymes, de paysans, d'ouvriers, d'une classe moyenne ou défavorisée qu'il ne connaît pas et qu'il part photographier, pendant près de neuf ans, à travers dix-sept États de l'Ouest. Il en résulte 752 portraits, objet, en 1985, d'une exposition itinérante (à Fort Worth, Washington, San Francisco, Chicago, Phoenix, Boston et Atlanta) et d'un livre, sous le titre In the American West. Intuitif, le photographe est sans états d'âme. Il extrait le modèle de tout contexte, et se fie à ce qu'il nomme « la performance », sûr que nous ne faisons que jouer la comédie, toujours. Ce peut être pour le meilleur. Ses portraits les plus réussis échappent à la seule identification du modèle, ils manifestent autre chose, de plus, qu'il a contribué à déclencher, que l'appareil capte et que sa photo retient.

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Écrit par

  • : critique, éditeur à l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Anne BERTRAND. AVEDON RICHARD (1923-2004) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Richard Avedon et Diana Vreeland - crédits : Sherman/ Hulton Archive/ Getty Images

Richard Avedon et Diana Vreeland

Photographie de mode de Richard Avedon - crédits : Courtesy of The Richard Avedon Foundation

Photographie de mode de Richard Avedon

Autres références

  • RICHARD AVEDON, PHOTOGRAPHIES 1946-2004 (exposition)

    • Écrit par Hervé LE GOFF
    • 957 mots

    Première rétrospective montée après la mort du photographe, cette exposition a été organisée par la Richard Avedon Foundation et le musée d'art contemporain de Louisiana de Humlebæk au Danemark, qui l'avait présentée du 24 août 2007 au 13 janvier 2008. Après l'espace Forma de Milan qui la recevait...

  • BASSMAN LILLIAN (1917-2012)

    • Écrit par Karen SPARKS
    • 456 mots

    La photographe de mode américaine Lillian Bassman obtint un grand succès dans les années 1940 et 1950 en privilégiant l'usage du flou et des contrastes dans ses clichés en noir et blanc de mannequins aux formes fluides, donnant ainsi une image de la femme empreinte de mystère.

    Lillian Violet...

  • DONEN STANLEY (1924-2019)

    • Écrit par Christian VIVIANI
    • 1 042 mots
    • 1 média

    Comme Vincente Minnelli, Gene Kelly ou Bob Fosse, Stanley Donen était rongé par l’inquiétude. L’art du musical est de nous faire croire qu’il est futile : il faut donc masquer à quel point le réel peut vous blesser. Seul le « divin » Fred Astaire paraît échapper à l’anxiété, sans...

  • PHOTOGRAPHIE (art) - Le statut esthétique

    • Écrit par Gérard LEGRAND
    • 5 146 mots
    • 8 médias
    ...elle s'est d'autre part totalement modifiée sous l'influence d'autres activités, essentiellement la publicité et la mode : un cas typique est celui de Richard Avedon qui, grand photographe de mode, est devenu un portraitiste tour à tour émouvant (Marilyn Monroe) et extrêmement féroce pour certains de...

Voir aussi