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RÉVOLUTION RUSSE

Octobre 1917 : révolution ou coup d'État ?

Depuis près de quatre-vingts ans, la prise du pouvoir par les bolcheviks, le 25 octobre 1917, fait l'objet d'interprétations radicalement différentes. Pour une école d'historiens, que l'on peut qualifier de « libérale » (Richard Pipes, Martin Malia), les événements d'octobre 1917 n'ont été qu'un coup d'État perpétré par un groupuscule minoritaire, résultat d'une habile conspiration tramée à la faveur de désordres sociaux par une poignée de fanatiques dépourvus de toute assise réelle dans le pays. À l'opposé, l'historiographie soviétique a tenté de démontrer que la « grande révolution socialiste d'Octobre » avait été l'aboutissement logique, inéluctable, d'un itinéraire libérateur entrepris par les masses consciemment ralliées au parti bolchevique, moteur de l'Histoire. Rejetant ces deux vulgates, un troisième courant historiographique a tenté d'expliquer, comme l'écrivait en 1977 son pionnier Marc Ferro, que « l'insurrection d'octobre avait pu être à la fois un mouvement de masse et que seul un petit nombre y avait participé ».

La prise du pouvoir par les bolcheviks, minutieusement préparée selon l'art le plus consommé de l'insurrection, a été rendue possible par le fait qu'une vaste révolution sociale, multiforme (dans l'armée, dans les milieux ouvriers, dans les campagnes, parmi les nationalités) avait, depuis plusieurs mois, ébranlé les institutions traditionnelles, sapé les fondements mêmes de l'État. Durant un bref mais décisif instant, l'action des bolcheviks, minorité politique agissant dans le vide institutionnel ambiant, alla dans le sens des aspirations du plus grand nombre : la terre, la paix, le contrôle ouvrier, tout le pouvoir aux soviets, l'émancipation des nationalités. Momentanément, coup d'État politique et révolution sociale confluèrent, avant de diverger, ouvrant la voie à un affrontement entre la société et le nouveau régime, et, à terme, à des décennies de dictature politique.

Le cabinet de Lenine et Trotski - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Le cabinet de Lenine et Trotski

Dans la préparation de la prise du pouvoir, le rôle de Lénine apparaît décisif. Dès la mi-septembre, de son exil finlandais, Lénine rédige, à l'adresse du comité central bolchevique, lettre sur lettre (« Les bolcheviks doivent prendre le pouvoir », « Marxisme et insurrection ») condamnant le légalisme révolutionnaire des dirigeants bolcheviques, qui, à l'instar de Kamenev et de Zinoviev, échaudés par l'amère expérience des journées de juillet, prônent la prudence et condamnent tout aventurisme. Pour Zinoviev et Kamenev, il n'est pas nécessaire de brusquer les événements : les soviets des grandes villes se « bolchevisent » rapidement ( Trotski a été élu, le 9 septembre, à la tête du comité exécutif du soviet de Petrograd) ; le IIe congrès panrusse des soviets, convoqué pour le 20 octobre 1917, aura, sans nul doute, une majorité bolchevique et socialiste-révolutionnaire hostile au gouvernement provisoire et favorable au passage de tout le pouvoir aux soviets. Face à l'attentisme d'une partie des dirigeants bolcheviques, Lénine veut, à tout prix, forcer la marche de l'Histoire (« Il serait naïf d'attendre une majorité „formelle“ en faveur des bolcheviks. Aucune révolution n'attend ça [...] L'Histoire ne nous pardonnera pas si nous ne prenons pas maintenant le pouvoir... »). Si le transfert du pouvoir se faisait à la suite d'un vote du IIe congrès des soviets, constate Lénine, le gouvernement qui en serait issu serait nécessairement un gouvernement de coalition, regroupant toutes les forces révolutionnaires. Les bolcheviks devraient partager le pouvoir avec les autres formations socialistes, largement majoritaires dans l'ensemble du pays : mencheviks et surtout[...]

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Pour citer cet article

Nicolas WERTH. RÉVOLUTION RUSSE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Révolution russe, 1917 - crédits : National Archives

Révolution russe, 1917

Révolutionnaires russes, 1917 - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Révolutionnaires russes, 1917

Affiche soviétique, 1970 - crédits : Michael Nicholson/ Corbis/ Getty Images

Affiche soviétique, 1970

Autres références

  • ANTONOV-OVSEÏENKO VLADIMIR ALEXANDROVITCH (1884-1938)

    • Écrit par Claudie WEILL
    • 421 mots

    Fils d'officier, Antonov-Ovseïenko entre à l'école des cadets de Voroneje. Il quitte l'armée, adhère dès 1901 au mouvement révolutionnaire et se rapproche des mencheviks en 1903. Lors de la révolution de 1905, il est l'un des experts militaires de la social-démocratie russe. Il essaye de soulever...

  • ARMÉE BLANCHE

    • Écrit par Pierre KOVALEWSKY
    • 456 mots
    • 4 médias

    Cette expression désigne ordinairement les diverses formations militaires qui ont combattu le pouvoir bolchevique en Russie de 1918 à 1922. Si leur but premier était le renversement du nouveau régime, certains de leurs chefs continuaient à se référer au pouvoir issu de la révolution de Février,...

  • BERDIAEV NICOLAS (1874-1948)

    • Écrit par Olivier CLÉMENT, Marie-Madeleine DAVY
    • 2 309 mots
    ...joue courageusement à Moscou un rôle pacificateur, et qui fait de lui un député à l'éphémère « Conseil de la République », l'inquiète par son irréalisme. La révolution bolchevique où pointe, à travers l'anarchie, l'esprit du grand inquisiteur, lui arrache d'abord un cri d'indignation. Mais bientôt,...
  • BOLCHEVISME

    • Écrit par Georges HAUPT
    • 7 595 mots
    • 6 médias

    Le terme de bolchevisme, dérivé du substantif abstrait bolchinstvo (majorité), désigne la théorie révolutionnaire de Lénine et la praxis du Parti bolchevique dont celui-ci fut le fondateur, le dirigeant et le stratège. Les origines et l'évolution sémantique de ce mot, lointain souvenir d'un...

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Voir aussi