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ANDERSON PAUL THOMAS (1970- )

Un monde en morceaux

La rencontre d’un maître et d’un disciple réticent, la formation d’une utopie ou d’une secte (The Master, 2012), ou encore la traversée d’Arcadies captieuses (Inherent Vice), tous royaumes dont la banale satisfaction sexuelle ou financière est le seul mérite nécessaire, trouvent en effet leur conclusion dans de cinglants démentis. Au paradis hawaïen d’Ivre d’amour succède l’affrontement avec une bande de brutes attirées par la misère sentimentale du héros. Sorti par vanité de l’écurie pornographique dont il était l’inlassable étalon, Dirk Diggler, impuissant et ruiné, avait subi de semblables violences, avant de tenter un impossible retour. Dans There Will Be Blood, les promesses de prospérité du prospecteur de pétrole et les dévotions du faux prophète qui le combat n’aboutissent qu’à une solitude d’ivrogne et à un assassinat. Les multiples provinces où des dévoyés espèrent trouver l’apaisement demeurent isolées : il n’existe pas de chemin, telle est la leçon de Magnoliacomme d’Inherent Vice,où la connivence objective du détective privé et du policier n’atténue pas leur hostilité mutuelle. Le morcellement de la société humaine et des vies individuelles justifie dans toute l’œuvre l’âpreté du montage et l’apparence fantasque de la représentation.

<em>Phantom Thread</em>, P. T. Anderson - crédits : Universal - Annapurna Pictures - Focus Features - Ghoulardi Film Company/ Prod DB/ AllPix/ Aurimages

Phantom Thread, P. T. Anderson

Anderson dépeint des milieux et des époques dont il accuse la singularité. Mais ces microcosmes n’en reproduisent pas moins la structure du monde qui les englobe. L’avidité d’un pionnier du pétrole s’éloigne-t-elle tant de notre économie ? Quant aux coulisses de la pornographie, elles ne sont qu’une exagération de Hollywood. La télévision des génies précoces, l’arrogance virile et la détresse amoureuse que mêle Magnolia, quelle partie de la société en a l’apanage ? Los Angeles n’a pas changé depuis l’époque d’Inherent Vice. Sarcastique, la puissante caractérisation des temps et des lieux souligne l’universalité de certains traits : l’acceptation d’un mentor ou d’un rôle de guide spirituel – comme celui qu’assume un histrion machiste dans Magnolia – découle de la haine du père et tente en vain de remédier à l’effondrement de la famille. Quant à la relation équivoque et violente qui unit le maître et son disciple, elle interdit toute éducation. Pour autant, aucun personnage ne perd son appartenance à l’humanité.

Reste une difficulté. Quelle omnipotence assure l’agencement des liens distendus et des coïncidences invraisemblables ? Comment admettre sous la forme d’une histoire tant d’éléments aléatoires, sans imaginer qu’une autorité invisible détermine leur compatibilité ? L’ironie veut que cette puissance souveraine puisse être aussi bien la forme élaborée par le cinéaste qu’une intention transcendante.

— Alain MASSON

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, rédacteur à la revue Positif

Classification

Pour citer cet article

Alain MASSON. ANDERSON PAUL THOMAS (1970- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>There Will Be Blood</em>, Paul Thomas Anderson - crédits : Paramount/ Vantage / The Kobal collection/ Aurimages

There Will Be Blood, Paul Thomas Anderson

<em>Phantom Thread</em>, P. T. Anderson - crédits : Universal - Annapurna Pictures - Focus Features - Ghoulardi Film Company/ Prod DB/ AllPix/ Aurimages

Phantom Thread, P. T. Anderson

Autres références

  • PHANTOM THREAD (P. T. Anderson)

    • Écrit par Michel CIEUTAT
    • 1 126 mots
    • 1 média

    Pour son huitième long-métrage, Paul Thomas Anderson est demeuré fidèle à sa manière de s'approprier des genres bien définis en les personnalisant très fortement. C’est ce qu’il avait fait, en 2007, avec There Will Be Blood, son adaptation du roman Oil! d'Upton Sinclair. Ainsi a-t-il...

  • THERE WILL BE BLOOD (P. T. Anderson)

    • Écrit par Michel CIEUTAT
    • 1 039 mots

    L'un des points forts de la littérature américaine a souvent résidé dans son art de dénoncer avec virulence les contradictions du mode de vie national. D'où le surnom de « muckrakers » donné à ces écrivains qui, dès le début du xxe siècle et surtout dans les années 1920, se...

  • DAY-LEWIS DANIEL (1957- )

    • Écrit par Universalis
    • 572 mots

    L 'acteur britannique Daniel Michael Blake Day-Lewis est né le 29 avril 1957 à Londres dans une famille qui appartenait au monde des arts et du spectacle : deuxième enfant du poète Cecil Day Lewis et de l'actrice Jill Balcon, il est également le petit-fils du producteur de cinéma Michael Balcon....

  • HOFFMAN PHILIP SEYMOUR (1967-2014)

    • Écrit par Universalis
    • 576 mots
    • 1 média

    Acteur américain, né le 23 juillet 1967 à Fairport, dans l'État de New York.

    Attiré par le théâtre dès le lycée, Philip Seymour Hoffman suit des études à la Tisch School of the Arts de l'université de New York, dont il sort diplômé en 1989. Il monte alors sur scène à New York et à Chicago avant...

  • MOORE JULIANNE (1960- )

    • Écrit par Richard PALLARDY
    • 1 083 mots
    • 1 média
    ...Néanmoins, c’est pour son interprétation, tout en nuances et pleine de sympathie envers son personnage d’Amber Waves, une actrice de porno, dans le film de Paul Thomas AndersonBoogieNights (1997), que Julianne Moore est nominée aux oscars (meilleure actrice dans un second rôle). Elle interprète ensuite avec...

Voir aussi