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THERE WILL BE BLOOD (P. T. Anderson)

L'un des points forts de la littérature américaine a souvent résidé dans son art de dénoncer avec virulence les contradictions du mode de vie national. D'où le surnom de « muckrakers » donné à ces écrivains qui, dès le début du xxe siècle et surtout dans les années 1920, se transformèrent en déterreurs de scandales et dénoncèrent les diverses trahisons des idéaux formulés par les Pères fondateurs à partir de la déclaration d'indépendance de 1776. Ainsi Sinclair Lewis pourfendit l'hypocrisie puritaine des petites villes dans Main Street (1920), Theodore Dreiser démontra dans An American Tragedy (1925) que la philosophie du self-made-man n'était qu'un leurre autodestructeur, tandis que Frank Norris dans The Octopus, prouva que dès 1901, l'agrarianisme, cher à Thomas Jefferson, n'avait plus d'avenir depuis que la révolution industrielle avait frappé le pays. Quant à Upton Sinclair, il passa au scalpel dans The Jungle (1906) le darwinisme social en milieu urbain, et dans Oil ! (1927) fit se télescoper l'esprit d'entreprise et le puritanisme à la manière d'un Max Weber, confirmant de la sorte que les deux concepts se corrompaient l'un l'autre. C'est ce dernier roman que Paul Thomas Anderson a brillamment adapté à l'écran en 2007, tout en le modifiant considérablement.

Fasciné par le point de départ du livre, le cinéaste décida de s'y tenir et de privilégier l'antagonisme qui oppose le prospecteur, Daniel Plainview (Daniel Day-Lewis) et le prédicateur, Eli Sunday (Paul Dano). De cette façon, après Boom Town(La Fièvre du pétrole, Jack Conway, 1940), Tulsa (Stuart Heisler, 1949) et surtout Giant (Géant, George Stevens, 1956), il pouvait ajouter une nouvelle pierre à son autocritique de l'Amérique, un travail qu'il avait déjà entrepris avec Hard Eight(Sidney, 1996), BoogieNights (1997) et plus encore Magnolia (1999). En racontant cette histoire d'un spéculateur, féru de champs pétrolifères achetés à bas prix, qui voit soudain son projet contrecarré par un jeune évangéliste dont la foi se confond avec l'arrivisme, Anderson met en présence le capitalisme sauvage et le fanatisme religieux, montrant que cette alliance, faite de compromis et de compromissions, ne peut conduire qu'à l'échec. Une alliance d'ailleurs souvent fatale lors de cette décennie, puisque Sinclair Lewis l'avait également dénoncée dans Elmer Gantry en 1925 (adapté à l'écran en 1960 par Richard Brooks), en s'inspirant de l'expérience de Sister Aimee Semple McPherson, une évangéliste certes sincère mais manipulée par les adeptes du rendement (un sujet repris par Frank Capra dans The Miracle Womanen 1931).

De toute évidence P. T. Anderson a choisi cette histoire afin de permettre au spectateur d'aujourd'hui d'établir un parallèle entre elle et l'essor des Nouveaux Chrétiens (« New Born Christians ») qui ont infiltré la politique américaine depuis le milieu des années 1960 (Jimmy Carter, Ronald Reagan et plus encore George W. Bush), rendant celle-ci des plus incertaines. Judicieusement retitré There Will Be Blood en référence à deux passages de l'Exode dans la Bible où le sang vient sceller l'alliance de Dieu avec Son peuple, le film opère un amalgame entre cette union religieuse et celle que l'homme accomplit avec le sang de la terre (le pétrole), la seconde échouant tout autant que la première, du fait de la cupidité de certains qui a entraîné très tôt sa raréfaction et la crise économique qui en résulta. C'est un cri d'alarme des plus lucides que lance le réalisateur contre ceux qui affirment que les Américains sont le peuple élu de Dieu, investi d'une mission salvatrice à l'échelle planétaire. Une prédestination que Paul Thomas Anderson démythifie[...]

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Écrit par

  • : enseignant-chercheur retraité de l'université de Strasbourg

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Pour citer cet article

Michel CIEUTAT. THERE WILL BE BLOOD (P. T. Anderson) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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