PALÉOGÉNOMIQUE

Dès le xixe siècle, le naturaliste Alfred Wallace (1823-1913) constatait que la biodiversité moderne ne constitue qu’une fraction infime de celles qui l’avaient précédée sur notre planète au fil du temps et que nous ne connaissons qu’au travers des fossiles. Si la paléontologie et l’archéologie nous permettent d’accéder à la connaissance des caractéristiques physiques (le phénotype) de ces formes de vie disparues, la documentation de leur génotype (leur génome, composé de l’ensemble de leurs gènes) est très largement le produit d’inférences réalisées à partir de la diversité génétique du vivant actuel.

Bébé mammouth extrait du permafrost

Bébé mammouth extrait du permafrost

Bébé mammouth extrait du permafrost

Du fait de sa très basse température permanente, le permafrost est une source très riche en ADN…

Connaître le génotype d’un être vivant revient à déterminer la séquence de son ADN en nucléotides. Cela paraissait utopique il y a peu concernant, par exemple, les espèces disparues. Pourtant, la paléogénétique, également appelée paléogénomique, étudie et fait désormais « parler » des ADN dits anciens, parce qu’issus d’organismes morts sur des échelles de temps allant de quelques décennies à plus de 1 million d’années. Cette discipline biologique est née en 1984 avec la publication fondatrice d’un fragment de 229 nucléotides de l’ADN obtenu à partir d’un morceau de muscle séché d’un couagga (une forme de zèbre chassée jusqu’à son extinction à la fin du xixe siècle). Son développement est intimement lié aux progrès technologiques des méthodes de la biologie moléculaire en général et du séquençage de l’ADN en particulier. Longtemps confinée dans une sorte d’artisanat, la paléogénétique s’est progressivement émancipée de cet héritage technique pour s’affirmer comme un champ d’investigation scientifique à part entière disposant de ses propres concepts et méthodes. L’essor que connaît cette discipline permet ainsi d’accéder à une documentation directe d’un passé génétique dont la richesse est désormais révolue. L’un de ses premiers objectifs a été de fournir des données génétiques relatives à des formes de vie récemment disparues, comme le mammouth laineux ou l’ours des cavernes. Aujourd’hui, ses travaux permettent surtout d’intégrer de façon objective la dimension du temps à des questionnements sur les dynamiques évolutives (migrations, compétition et adaptation de populations), environnementales (évolution des écosystèmes et réponses aux changements climatiques) ou socioculturelles (peuplements, métissages, domestications, etc.) en s’appuyant sur les données génétiques, les séquences d’ADN ancien. À ce titre, elle constitue aujourd’hui un maillon essentiel en anthropologie, en biologie de l’évolution et de la conservation, en archéologie et en sciences de l’environnement.

Reconstituer un génome à partir de fragments

Connaître le génome d’un fossile suppose d’avoir pu reconstituer une très longue phrase issue de l’assemblage ordonné de centaines de millions de nucléotides de son ADN. Si l’on sait le faire pour un ADN moderne, la tâche est bien plus difficile pour un ADN ancien. En effet, la molécule d’ADN n’est pas immortelle : son inéluctable dégradation post mortem conduit au morcellement de la chaîne de nucléotides qui la composent en fragments de plus en plus courts. Du vivant des cellules, les chromosomes sont composés de millions à centaines de millions de ces maillons individuels dont la séquence ordonnée signe l’identité de l’organisme qui les porte, et qui définit ses caractères phénotypiques. À la mort des cellules, les mécanismes biologiques de maintien de l’intégrité de cette séquence s’interrompent, tandis que des organismes (microbes et champignons en particulier) viennent accélérer la dégradation de cette matière organique et s’en nourrissent. L’intensité de cette dégradation – modulée par le facteur temps et les caractéristiques de l’environnement post mortem – conditionne la possibilité[...]

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Écrit par

  • Régis DEBRUYNE : ingénieur de recherche en paléogénétique au Muséum national d'histoire naturelle (Paris), spécialiste de l'histoire évolutionnaire de la famille des éléphantidés

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Pour citer cet article

Régis DEBRUYNE, « PALÉOGÉNOMIQUE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

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