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OROSE (1re moitié Ve s.)

Du passé païen aux « temps chrétiens »

Quelques années plus tôt, en 410 exactement, la prise de Rome par les Goths d'Alaric et le sac qui s'en était suivi avaient profondément choqué les esprits. Pour la première fois depuis l'invasion gauloise de 387 avant Jésus-Christ, un ennemi entrait en vainqueur dans la « Ville éternelle ». Les païens virent là un châtiment divin : Rome était punie pour avoir abandonné les dieux qui avaient fait sa grandeur. Augustin répliqua par les premiers livres de la Cité de Dieu. Il y montrait en particulier que les malheurs de Rome n'avaient pas commencé avec la victoire du christianisme et que, au temps où leur culte était incontesté, les dieux avaient bien mal reconnu les honneurs qu'on leur rendait. Mais ce n'était là qu'une partie de sa démonstration, et l'évêque d'Hippone n'avait apparemment ni le temps ni le goût d'entrer dans un détail historique propre à étayer cette thèse. La tâche pourtant ne lui semblait pas inutile. Il en chargea Orose. Le prêtre espagnol mit visiblement beaucoup d'ardeur à la besogne. En peu de temps, il avait achevé les sept livres de ses Historiae adversum paganos. Le titre montre bien le double visage de l'entreprise : Orose a écrit une histoire universelle, mais celle-ci est au service d'une démonstration et d'un plaidoyer.

La thèse est simple. C'est exactement le contre-pied de celle qu'avaient avancée les païens après le sac de Rome. Orose met en garde contre le manque de mémoire : les hommes sont sensibles aux moindres incommodités du présent et oublieux des souffrances du passé. C'est ainsi que l'on s'exagère les épreuves des « temps chrétiens » et que l'on atténue les malheurs et les détresses du passé païen de l'humanité. Contre ces déformations, Orose veut établir que la mort et la violence ont régné dans le monde tant que « la religion qui prohibe le sang » a été ignorée, qu'elles ont été ébranlées lorsque cette religion est apparue, qu'elles perdent leur empire avec ses progrès et qu'elles disparaîtront avec son triomphe. Pour étayer cette thèse, Orose s'est livré à un extraordinaire travail de marqueterie. La chronique d'Eusèbe, traduite et prolongée par Jérôme, lui a fourni son cadre chronologique. Il l'a rempli, étoffé, complété avec ce qu'il trouvait chez les historiens. Il a mis à contribution les histoires de Justin, de Florus, de Tite-Live, l'abrégé d'Eutrope, les Commentaires de César, les monographies de Salluste, les biographies de Suétone, l'Histoire ecclésiastique du Rufin, la Cité de Dieu d'Augustin. Chaque fois, il adapte, il résume, il choisit. Dans les siècles qui ont précédé la venue du Christ, ce qu'il retient, c'est l'histoire des calamités, qu'elles soient naturelles – tremblements de terre, famines, épidémies – ou directement provoquées par les hommes – oppression, violences, guerres surtout. La perspective d'Orose est résolument pacifiste. Il souligne que les triomphes des armes, ceux que Rome par exemple a pu connaître, sont toujours payés par les souffrances des vaincus, qu'il n'y a pas de guerre heureuse, que les conquérants sont les pires des fléaux, sans excepter le plus grand d'entre eux : Alexandre, le héros par excellence aux yeux des Anciens. En fait, toute l'histoire humaine avant le Christ n'est que la suite ou le châtiment du péché d'Adam. C'est pour le montrer qu'Orose a commencé son récit, non pas avec Abraham, point de départ de la Chronique d'Eusèbe, mais avec la création de l'homme, innovation qu'il souligne avec fierté.

Orose voit l'histoire changer de sens avec la naissance de Jésus sous Auguste. Ce qui surprend le plus dans le récit qu'il fait[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'Université libre de Bruxelles

Classification

Pour citer cet article

Hervé SAVON. OROSE (1re moitié Ve s.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DÉCADENCE

    • Écrit par Bernard VALADE
    • 9 945 mots
    ..., le réel doit être conçu comme un rationnel d'ordre divin. Le plan providentiel domine également la compilation de son disciple espagnol P. Orose, Historiarum adversus paganos : libri VII : la chute des empires est voulue par Dieu, le triomphe de Rome a été nécessaire à l'expansion du christianisme,...

Voir aussi