ORDRE PUBLIC
L'expression d'ordre public évoque communément l'ordre dans la rue. Cette conception populaire – que Bernanos dénonçait comme « une conception hideuse de l'ordre » – n'est pas totalement inexacte, mais la notion d'ordre public est, juridiquement, beaucoup plus subtile.
L'ordre se comprend aussi comme organisation, comme stabilité sociale sans laquelle les sociétés humaines ne sauraient vivre et qu'il appartient à l' État d'assurer. L'ordre public se présente alors comme l'ensemble des institutions qui tendent à garantir tant la sécurité des rapports entre les citoyens que le cours normal de la vie publique, et une distinction s'impose immédiatement à son égard.
D'une part, un but d'ordre public justifie certaines opérations ou décisions nécessaires au bon ordre de la vie sociale. D'autre part, un caractère d'ordre public s'attache, avec ses effets propres, à certaines règles de droit dont il paraît exiger strictement l'observation.
De ces deux aspects de l'ordre public – les exemples seront pris dans le droit français – les juristes soulignent plus particulièrement le second, et cela de l'une à l'autre des diverses branches du droit, dont chacune entend et utilise plus ou moins à sa façon la notion juridique qui leur est commune. Mais cette notion, si forte qu'elle soit de sa technique et de son vaste champ d'application, de son originalité comme de sa souplesse, ne doit pas faire oublier la réalité primaire élémentaire, qui reste la manifestation fondamentale de l'ordre public.
Le but d'ordre public
Les exigences de l'ordre public expliquent deux formes bien différentes d'intervention de l'autorité, que réunit au fond la poursuite d'un but identique. Il s'agit des mesures de maintien de l'ordre et des mesures de police administrative.
Le maintien de l'ordre
Aux termes d'un décret du 20 mai 1903 portant règlement sur l'organisation et le service de la gendarmerie, « la police administrative a pour objet la tranquillité du pays, le maintien de l'ordre et l'exécution des lois et règlements d'administration publique » (art. 59).
À cet égard, selon les termes du même décret, la gendarmerie est invitée à adresser des rapports spéciaux, dans le plus bref délai, à l'autorité administrative (art. 51 et 87) « pour les événements pouvant intéresser l'ordre public ou la sûreté générale », ou (art. 53) « ayant une sérieuse importance au point de vue de l'ordre public ou de la sûreté de l'État et nécessitant des mesure spéciales pour maintenir l'ordre (grèves, émeutes populaires, attentats anarchistes, complots, provocation à la révolte, découvertes de dépôts d'armes ou de munitions, d'ateliers clandestins de fabrication d'explosifs, etc.) ».
Corrélativement, la gendarmerie peut recevoir des réquisitions de l'autorité administrative quand il s'agit, notamment, « d'aller assurer le maintien de l'ordre sur des points où il est menacé » (art. 67). Cela étant, « dans tout service exécuté en troupe, en vue du maintien de l'ordre ou de la tranquillité publique, les gendarmes ou gardes à pied sont toujours armés de la carabine ou du fusil » (art. 96).
En effet, même en l'absence de l'autorité judiciaire ou administrative, les officiers, gradés et gendarmes peuvent « déployer la force armée », c'est-à-dire faire usage de leurs armes, pour se défendre contre des violences ou les menaces d'individus armés, lorsqu'ils ne peuvent remplir autrement leur mission, lorsque des personnes invitées à s'arrêter ne peuvent y être contraintes autrement, et même, « lorsqu'ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt » (art. 174).
Finalement, « dans aucun cas les brigades ne doivent quitter le terrain ni rentrer à leur résidence avant que l'ordre soit parfaitement rétabli [et] doivent se rappeler que force doit toujours rester à la loi » (art. 176), sans méconnaître qu'aussi bien « une des principales obligations de la gendarmerie étant de veiller à la sûreté individuelle, elle doit assistance à toute personne qui réclame son secours dans un moment de danger » (art. 302).
Ces dispositions qui s'appliquent à l'activité d'autres corps de police décrivent parfaitement ce qu'est le maintien de l'ordre. Cependant, celui-ci, avec ou sans intervention de la gendarmerie, est aussi l'un des objets de la police administrative tout comme la tranquillité du pays et l'exécution des lois et règlements.
La police administrative
En droit administratif, l'application essentielle de la notion d'ordre public concerne la théorie de la police administrative et définit les buts en vue desquels les mesures de police administrative peuvent être légalement prises.
C'est ainsi que la police municipale – dont le maire est chargé, sous la surveillance de l'administration supérieure – « a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique », aux termes du Code de l'administration communale (art. 96 et 97).
Cela étant, et pour prendre un exemple, le visa de la commission de contrôle des films cinématographiques ne met pas le responsable de la projection d'un film licencieux à l'abri d'une condamnation pénale pour délit d'outrage aux bonnes mœurs, car « le principe de la séparation des pouvoirs s'oppose à ce qu'une autorisation administrative, même accordée en vertu d'un texte réglementaire, relève le juge répressif du devoir qui n'incombe qu'à lui d'appliquer la loi pénale. » Toutefois une question peut être soulevée ici : le maire a-t-il le droit d'interdire la projection du film sur le territoire de sa commune ?
Dans un arrêt du 18 décembre 1959 (Société « Les Films Lutétia »), le Conseil d'État a jugé que le Code de l'industrie cinématographique, « en maintenant le contrôle préventif institué par les textes antérieurs, a notamment pour objet de permettre que soit interdite la projection des films contraires aux bonnes mœurs ou de nature à avoir une influence pernicieuse sur la moralité publique, cette disposition législative n'a pas retiré aux maires l'exercice, en ce qui concerne les représentations cinématographiques, des pouvoirs de police qu'ils tiennent de l'article 97 de la loi municipale du 5 avril 1884 ; [et donc] qu'un maire, responsable du maintien de l'ordre dans sa commune, peut interdire sur le territoire de celle-ci la représentation d'un film auquel le visa ministériel d'exploitation a été accordé, mais dont la projection est susceptible d'entraîner des troubles sérieux ou d'être, à raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciable à l'ordre public. »
Ainsi donc, l'arrêté municipal d'interdiction ne peut se fonder sur la seule immoralité d'un film (dont l'appréciation au regard de la loi pénale appartient aux juridictions répressives). Mais l'interdiction de la projection du film peut être parfaitement justifiée par la probabilité d'une atteinte à l'ordre public.
Cette solution illustre bien l'intérêt du but d'ordre public pour la justification des mesures de police administrative. Elle est également à retenir pour la distinction qu'elle consacre entre l'ordre public et les bonnes mœurs, que d'autres textes, au contraire, tendent à rapprocher, voire même à confondre.
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Écrit par
- Robert VOUIN : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris
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