NÉO-COLONIALISME
Carte mentale
Élargissez votre recherche dans Universalis
Les mots changent, mais les réalités demeurent. « Après avoir pris du ventre », selon l'expression de Werner Sombart, le capitalisme s'est transfiguré. Il en résulte, entre autres conséquences, une nouvelle manière d'entrer en rapport avec les pays économiquement moins développés, mais cette relation reste toujours fondamentalement asymétrique. Cela n'est sans doute pas, d'ailleurs, l'apanage d'un système, mais plutôt la logique des rapports inégaux entre les sociétés industrielles (quelle que soit l'idéologie qu'elles revendiquent) et les sociétés qui ne le sont pas.
Même si l'analyse et le verbalisme (qui caractérise souvent les études consacrées au néo-colonialisme) ont été accaparés d'une manière manichéenne par les tenants de telle orthodoxie doctrinale, les faits montrent que les puissances économiques abusent, d'une manière ou d'une autre, de leur pouvoir de négociation lorsqu'elles traitent avec les nations les moins puissantes. Pour le montrer, nous évoquerons deux aspects essentiels de cet échange inégal : le néo-colonialisme économique et le néo-colonialisme culturel.
Le néo-colonialisme économique
Si la plupart des pays du Tiers Monde sont aujourd'hui politiquement indépendants, peu d'entre eux peuvent se dire économiquement souverains. Il n'est évidemment pas question d'indépendance économique absolue – cette perspective théorique ne peut qu'alimenter les débats philosophiques ou nourrir les passions politiques, puisque aucun pays n'est aujourd'hui absolument indépendant sur le plan économique, pas même les plus grands ; il s'agit plutôt du degré d'autonomie de la politique économique nationale et du niveau de participation aux décisions de politique internationale qui concernent la nation.
Dans cette perspective relativiste, on peut, néanmoins, constater que les pays sous-développés sont actuellement dominés d'une manière spécifique, qui diffère totalement des rapports entre pays industriels, même de puissance très inégale. Cette domination extérieure paraît tenir à quatre faits économiques essentiels :
– maintien et renforcement de la suprématie des firmes étrangères dans la production et le commerce des pays pauvres ;
– nature de la production dans laquelle ils se spécialisent ;
– détérioration continue des termes de l'échange ;
– signification économique de l'aide qui leur est accordée.
Suprématie des firmes étrangères
Une grande partie de la production des pays sous-développés est entre les mains des firmes étrangères, qu'il s'agisse de succursales de grandes entreprises européennes ou américaines, ou de filiales de cette réalité plus complexe qu'on appelle G.U.I. (Grande unité inter-territoriale) ou Transco (Compagnie transnationale). Les centres de décision de ces entreprises se trouvent à l'extérieur du pays, et leur politique protéiforme prend rarement en considération l'intérêt de la nation où elles sont implantées. Par leur marge de manœuvre, liée à leur importance et aux possibilités de reconversion sur d'autres pays en cas de difficultés, ces entreprises sont, en grande partie, indépendantes des décisions des pouvoirs nationaux. Leur supériorité technique, due à l'existence de centres dans les pays industriels, augmente l'écart technologique au lieu de favoriser la formation de compétences locales. De plus, la multiplicité des produits qu'elles gèrent leur permet de conserver sur les marchés locaux une puissance d'autant plus considérable qu'elle est mobile et, en partie, occulte.
La domination que ces entreprises multinationales exercent dans le Tiers Monde est d'autant plus grave que les effets induits favorables aux intérêts de ces pays sont beaucoup plus limités que dans les pays industriels : au niveau de l'emploi et de la redistribution des revenus, il n'est pas immédiatement rentable aujourd'hui, dans bien des cas, d'utiliser des techniques du type « intensive labour », de former les cadres locaux des techniques du type « intensive capital » ; de plus, les transferts de revenus, le plus souvent non contrôlés par le pays, dépendent généralement de la politique globale de la G.U.I. entre ses diverses ramifications.
Nature de la production
La nature des productions dans lesquelles ces pays sont spécialisés, en grande partie sous l'influence des besoins des anciens pays protecteurs, accentue encore la dépendance économique des pays du Tiers Monde. La production de matières premières exportées sans t [...]
1
2
3
4
5
…
pour nos abonnés,
l’article se compose de 7 pages
Écrit par :
- Jacques AUSTRUY : professeur à la faculté de droit de Paris-Ouest, détaché à Antananarivo
Classification
Autres références
« NÉO-COLONIALISME » est également traité dans :
COLONIALISME & ANTICOLONIALISME
Dans le chapitre « Les mots et les choses » : […] L'apparition des mots est toujours signifiante pour l'historien. Les mots colonie et colon , hérités du latin, sont utilisés dans la langue française dès le xiv e siècle. Le mot « colon » désigne alors le cultivateur d'une terre dont le loyer est payé en nature. Il ne s'appliquera qu'au xviii e siècle à la personne qui va fonder ou peupler une colonie et qu'on opposera ainsi à l'habitant de la […] Lire la suite
CUBA
Dans le chapitre « Néo-colonialisme et dictatures » : […] Après la reddition de l'armée espagnole à Santiago de Cuba, les États-Unis mettent en place un gouvernement militaire d'occupation jusqu'en 1902. L'indépendance formelle est accordée le 20 mai 1902, mais dans la Constitution l' amendement Platt donne aux États-Unis des bases navales (Guantánamo) et le droit d'intervenir à Cuba. Après la dissolution de l'armée de libération cubaine, une armée de m […] Lire la suite
HISPANO-AMÉRICAINE GUERRE (1898)
Le 15 février 1898, l'explosion en rade de La Havane d'un navire nord-américain, le Maine , avec à son bord quelque 260 personnes, constitue le prétexte de l'intervention des États-Unis dans la guerre d'émancipation coloniale qui oppose Cuba à l'Espagne depuis 1895. La chute de Santiago de Cuba, en juillet, contraint le gouvernement de Madrid à signer, le 10 décembre 1898, le traité de Paris par l […] Lire la suite
MADAGASCAR
Dans le chapitre « Condition de la littérature malgache » : […] Madagascar n'est plus, comme au seuil des années 1970, le pays naturellement paradisiaque que certains, se prévalant à tort du silence, voulaient déjà faire passer pour « l'Île heureuse et délivrée » naguère entrevue par le poète derrière l'Île heureuse de dérision du romancier dont il hérita. Mais qui donc prenait garde à cette île flottante qui, à l'écart des grands courants internationaux, ven […] Lire la suite
MAURITANIE
Dans le chapitre « Affirmation du pouvoir et difficultés internes » : […] L'année 1961 voit des mutations importantes dans l'organisation politique et l'affermissement du pouvoir de Moktar Ould Daddah. Ce dernier cherche à rendre plus cohérent un régime qui a pour mission de construire un État-nation. Il est donc nécessaire de réduire les dissensions et d'affaiblir les forces centrifuges, notamment celles des chefferies. Rompre avec le modèle français (multipartite et p […] Lire la suite
PANAMÉRICANISME
Dans le chapitre « Le panaméricanisme colonial » : […] À l'initiative du secrétaire d'État, James Blayne, fut convoquée, en 1899, à Washington, une conférence interaméricaine dont l'objet était de favoriser les échanges commerciaux. Elle créa, à cette fin, un Bureau des républiques américaines, premier organe permanent, à l'origine de toute une série d'institutions qui, empiriquement, verront le jour au cours des décennies suivantes. En 1901, une seco […] Lire la suite
POSTCOLONIALES ANGLOPHONES (LITTÉRATURES)
Dans le chapitre « Quel avenir pour les études postcoloniales ? » : […] On pourra sans doute avancer que, depuis les années 1970, dans des pays développés comme l'Australie ou le Canada, une fois la phase de prise de conscience nationaliste passée, les écrivains ont cessé d'être les alliés plus ou moins volontaires de cette réappropriation identitaire. Margaret Atwood au Canada et Peter Carey en Australie fournissent deux exemples de romanciers d'abord préoccupés par […] Lire la suite
Voir aussi
Les derniers événements
3-4 novembre 1981 France – Afrique. Sommet franco-africain à Paris
La page du néo-colonialisme est tournée » Dans son discours d'ouverture, le président Mitterrand affirme que la « voie raisonnable » au Tchad passe par « la mise en place effective de la force interafricaine ». Dès la première journée, les participants accueillent « avec satisfaction » la nouvelle de l'ordre donné par le colonel Kadhafi aux troupes libyennes de se retirer du Tchad. […] Lire la suite
Pour citer l’article
Jacques AUSTRUY, « NÉO-COLONIALISME », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 19 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/neo-colonialisme/