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MYSTÈRE

La réhabilitation philosophique et liturgique du mystère

Cependant, plusieurs tentatives ont été faites pour redonner au terme la plénitude de sens que des siècles de scolastique lui avaient fait perdre, et pour le revivifier au contact des sources bibliques et patristiques. La première tentative est née chez les philosophes. On peut en déceler l'amorce chez Pascal. La transmission du péché originel, qui est, selon lui, « le mystère le plus éloigné de notre connaissance, est une chose sans laquelle nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nous-mêmes ». La situation se trouve ici renversée au profit du mystère : le mystère devient, chez Pascal, le tremplin d'où la pensée prend son essor : « Certainement, rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine ; et cependant, sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le nœud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme ; de sorte que l'homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère n'est inconcevable à l'homme. » (Pensées, éd. Brunschvicg, no 434.)

L'un des essais les plus intéressants pour repenser l'idée de mystère a été, à l'époque contemporaine, celui de Gabriel Marcel dans Position et approches concrètes du mystère ontologique (1933). Gabriel Marcel reproche aux philosophes d'avoir abandonné le « mystère » aux théologiens d'une part, aux vulgarisateurs de l'autre. (Récupérer au profit de la philosophie la notion de mystère est une entreprise qui peut se recommander de Platon : ce dernier a inséré dans ses dialogues maints éléments empruntés aux religions à mystères.) G. Marcel situe la notion de mystère par rapport à celle de problème, tout en sachant qu'on ne peut espérer tracer, entre les deux, une ligne de démarcation rigoureuse : « Un mystère, c'est un problème qui empiète sur ses propres données, qui les envahit et se dépasse par là même comme simple problème. » G. Marcel fait porter sa réflexion sur le mystère de l'union de l'âme et du corps, le mystère du connaître, de l'espérance (dont Péguy, en poète, avait si éloquemment parlé), le mystère de l'amour, de la présence, de l'être. « Quand je dis qu'un être m'est donné comme présence ou comme être (cela revient au même, car il n'est pas un être pour moi s'il n'est une présence), cela signifie que je ne peux pas le traiter comme s'il était simplement posé devant moi ; entre lui et moi se noue une relation qui, en un certain sens, déborde la conscience que je suis susceptible d'en prendre ; il n'est plus seulement devant moi, il est aussi en moi ; ou plus exactement, ces catégories sont surmontées, elles n'ont plus de sens. » Cette réhabilitation du mystère sur le plan philosophique invitait à une réhabilitation sur le plan théologique. C'est dans ce sens que s'orientait Simone Weil : « On dégrade les mystères de la foi en en faisant un objet d'affirmation ou de négation, alors qu'ils doivent être un objet de contemplation. » (La Pesanteur et la grâce, 1947.)

Une autre tentative pour redonner au mot « mystère » la chaleur et la vie vient d'un tout autre horizon. Un bénédictin allemand de Maria-Laach, dom Odon Casel (1886-1948), a défendu toute sa vie la conception « mystérique » du culte chrétien. En réaction contre le rationalisme théologique, dom Casel s'est fait l'apôtre du « retour au mystère », ce dernier étant conçu non plus comme une donnée dogmatique « que nous devons croire, quoique nous ne puissions pas la comprendre », mais comme une réalité vécue au sein de la communauté ecclésiale et de sa liturgie. Tout en déclarant le mystère chrétien irréductible aux mystères païens, dom Casel se plaît à souligner les points de contact : « Avec le temps[...]

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Pour citer cet article

Édouard JEAUNEAU. MYSTÈRE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CASEL dom ODON (1886-1948)

    • Écrit par André GOZIER
    • 502 mots

    Né à Coblence, Odon Casel entre en 1905 au noviciat de l'abbaye bénédictine de Maria-Laach (Rhénanie), où il fait profession monastique en 1907 et est ordonné prêtre en 1911. Après une double thèse de doctorat en théologie et en philosophie à Bonn, il publie des travaux où il pose les fondements de...

  • ECCLÉSIOLOGIE

    • Écrit par Bernard DUPUY
    • 5 742 mots
    ...manifestée à la Pentecôte : par l'Esprit envoyé du Père, l'Église a été sanctifiée dans la vérité. Elle constitue ainsi dans le temps un mystère, c'est-à-dire qu'elle est une manifestation divine dans l'histoire, comme Jésus est la manifestation même de Dieu au milieu des temps. Tandis...
  • JÉSUS ou JÉSUS-CHRIST

    • Écrit par Joseph DORÉ, Pierre GEOLTRAIN, Jean-Claude MARCADÉ
    • 21 165 mots
    • 26 médias
    ...et décisive qu'elles accordent à la christologie. C'est avec cette dernière que, pour elles aussi, se décide tant ce qu'on peut dire de Dieu et de son mystère que ce qu'il peut en être de l'homme et de son destin. La chose est notable aussi bien chez les protestants (K. Barth, par exemple) que chez les...
  • MARCEL GABRIEL (1889-1973)

    • Écrit par Lucien JERPHAGNON
    • 1 136 mots
    ...méprendre sur elle, sur autrui, sur lui-même. L'existence ne se réduit pas à la pensée de l'existence. Tel est le fondement de la distinction fameuse du mystérieux et du problématique : « Le problème est quelque chose qui barre la route. Il est tout entier devant moi. Au contraire, le mystère est...
  • Afficher les 9 références

Voir aussi