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MOKUAMI KAWATAKE (1816-1893)

L'un des meilleurs écrivains du xixe siècle et l'un des trois plus grands hommes de théâtre du Japon, avec Zeami et Chikamatsu. Né à Edo (Tōkyō) dans une modeste famille de petits commerçants de la ville basse (Shitamachi), il avait de naissance la vivacité, la spontanéité, l'ironie et l'humour un peu gros des personnages de Shikitei Samba ou de Jippensha Ikku. Nourri de cette culture vigoureusement populaire qu'illustrent les romans de ces deux auteurs, Mokuami se trouve jeté, au moment de sa maturité, dans le tourbillon de l'occidentalisation de l'ère Meiji (1868-1912). La seconde moitié de son œuvre reflète ce bouleversement et constitue un précieux témoignage sur la façon dont le Japonais moyen vécut la « Rénovation ».

Mokuami a laissé plusieurs centaines de pièces de kabuki, appartenant à tous les genres : chorégraphies, adaptations de ou de kyōgen, drames historiques à grand spectacle (jidai-mono) et drames bourgeois (sewa-mono). Ces derniers genres sont de loin les plus intéressants, car les personnages pris dans le petit peuple de Shitamachi sont d'une vérité étonnante. On a parfois surnommé Mokuami le « poète des voleurs », car il semble avoir eu un faible pour les mauvais garçons qui fréquentaient le Yoshiwara, le quartier des plaisirs d'Edo ; ce sont de joyeux drilles, buveurs, bagarreurs, chapardeurs, trousseurs de filles et détrousseurs de passants, meurtriers parfois aussi, mais comme par accident : dans ce cas, ils finiront mal pour que la morale soit sauve. Autour de ces drôles, somme toute sympathiques, gravite un monde de boutiquiers, de pêcheurs, d'artisans, de samouraïs déchus, de patrons d'auberge, de courtisanes et de geishas, bref tout le petit peuple d'Edo, industrieux et débrouillard, libre dans ses propos et volontiers frondeur, amateur de subtiles entourloupettes et de grosses farces, celui-là même que Shikitei Samba observait aux bains publics ou chez le barbier.

Après 1868, Mokuami nous montre ce même milieu en contact avec les bourgeois « évolués », portant kimono et chapeau melon, canne à pommeau d'argent et bottines à boutons, étalant à tout propos et hors de propos leur connaissance des mystères de l'Occident et émaillant leurs discours des slogans du nouveau régime. Non que Mokuami ait été un opposant : son ironie s'exerce avec beaucoup de finesse, et parfois d'une façon tellement ambiguë que le spectateur naïf peut s'y tromper, aux dépens des snobs de toute sorte qui tenaient alors le haut du pavé, écrasant du haut d'une science fraîchement acquise et mal assimilée ceux qui jugeaient que le mode de vie (sinon le régime politique) d'autrefois ne manquait pas de charme. Ce sont toutes ces qualités sans doute qui font de Mokuami, de nos jours encore, le plus populaire et peut-être le plus actuel de tous les auteurs de kabuki.

— René SIEFFERT

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Écrit par

  • : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales

Classification

Pour citer cet article

René SIEFFERT. MOKUAMI KAWATAKE (1816-1893) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • JAPON (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Jean-Jacques ORIGAS, Cécile SAKAI, René SIEFFERT
    • 20 234 mots
    • 2 médias
    ...estimable finit par se constituer, avec notamment les œuvres de Tsuruya Namboku (1755-1829) qui rompit avec le jōruri à la manière de Chikamatsu. Kawatake Mokuami (1816-1893), enfin, sera pour le kabuki ce que Chikamatsu avait été pour le jōruri et Zeami pour le  : un créateur de génie. Plusieurs centaines...
  • THÉÂTRES DU MONDE - Le théâtre japonais

    • Écrit par René SIEFFERT, Michel WASSERMAN
    • 6 919 mots
    • 4 médias
    ...spécifiques du genre, tout en ouvrant la voie, par le réalisme de sa description des bas-fonds d'Edo, au « théâtre des voleurs » illustré notamment par Kawatake Mokuami (1816-1893). Ce dernier, auteur de quelque trois cent soixante textes dramatiques, demeure aujourd'hui encore le plus couramment représenté de...

Voir aussi