THÉÂTRES DU MONDELe théâtre japonais
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Une rare perfection formelle, résultat d'une recherche constante dans des voies diverses et toujours originales, un répertoire d'une haute tenue littéraire dû à des dramaturges de génie, à qui seule la faible diffusion hors de leur pays de la langue dont ils usèrent interdit d'occuper la place qui leur revient aux côtés des plus grands dans le panthéon des gloires universelles, voilà qui suffirait à retenir pour les trois formes classiques du théâtre japonais : nō, jōruri et kabuki, l'attention de qui s'intéresse à l'art dramatique.
Dans le kabuki, forme traditionnelle du théâtre japonais très populaire alternant dialogues, chants et danses, le raffinement du maquillage et la somptuosité des costumes jouent un rôle primordial. Ici, en 1996, l’acteur Bandō Tamasaburō V, mythique onnagata, terme qui désigne un homme...
Crédits : Herve Bruhat/ Gamma-Rapho/ Getty Images
De plus, l'historien du théâtre et le comparatiste trouveront là une matière sans doute unique au monde, du fait que ces formes d'art spécifiques se sont constituées de toutes pièces à des époques où le pays s'était pratiquement fermé aux influences étrangères, donc en partant d'éléments autochtones ou déjà assimilés. Si l'on ajoute à cela l'existence d'une documentation écrite précise et abondante relatant les diverses étapes de leur formation et la transmission, par une tradition ininterrompue jusqu'à nos jours, non seulement de chacune de ces formes dans leur état achevé, mais de certaines des étapes intermédiaires qui y menèrent, l'on comprendra que l'étude du théâtre japonais dans son ensemble fournit des thèmes de réflexion extrêmement stimulants sur les conditions de la naissance et de l'évolution de l'art dramatique dans une société déterminée, ainsi que sur le rôle sociologique et esthétique de cet art dans la formation d'une structure culturelle globale. Et le plus surprenant n'est certes pas que ce théâtre présente des caractéristiques qui lui sont propres, mais plutôt que l'on puisse y retrouver certaines données universelles, que l'on puisse, par exemple, analyser jusque dans le détail les drames de Chikamatsu selon les critères mêmes qui vaudraient pour Shakespeare : dans de telles conditions, les rencontres, voire les coïncidences, ne peuvent être fortuites : elles ne peuvent traduire autre chose que des constantes inhérentes à la structure même de l'esprit humain. On ne s'étonnera plus de trouver dans les écrits théoriques de Zeami consacrés au nō (qui est, de tout le théâtre japonais, la forme la plus éloignée de nos conceptions) des analyses ou des conseils techniques rejoignant les recherches les plus récentes des metteurs en scène occidentaux les plus audacieux.
Les formes ancestrales
Parmi les éléments de la culture chinoise importés massivement au viiie siècle figuraient un certain nombre de divertissements que l'on peut tenir pour des formes rudimentaires des arts du spectacle. Selon leur contenu et leur destination, on les a classés sous trois rubriques : gigaku, bugaku et sangaku.
Les gigaku
Importés en 612, les gigaku ne sont plus connus que par la brève description qu'en donne Koma Chikazane au xiiie siècle, dans un traité musical, et par deux cent vingt-trois masques conservés dans des musées ou des monastères de Nara. Il s'agirait d'une sorte de mascarade de carnaval, d'un défilé de grotesques dansant au son d'une musique grossière, mêlé de courtes pantomimes réinterprétées en fonction d'une symbolique bouddhique. Spectacle populaire qui avait drainé à travers l'Asie centrale et la Chine les éléments les plus hétéroclites, chinois, indiens, ou plus lointains encore, le gigaku, par suite d'une coïncidence purement chronologique, avait été associé par les Japonais aux rites du bouddhisme, voire du shintō.
Masque de danse (gigaku), bois portant des traces de polychromie. Époque de Nara (710-794). Arthur M. Sackler Museum, université Harvard, Cambridge, États-Unis.
Crédits : Bequest of Grenville L. Winthrop, Bridgeman Images
Le bugaku
Introduites au viiie siècle par des artistes chinois qui firent souche au Japon, les chorégraphies dites bugaku et leur musique d'accompagnement, le gagaku, sont au contraire l'aboutissement ultime d'un art raffiné pratiqué à la cour des Tang. Il s'agissait là d'une forme de danse quintessenciée et d'une musique extrêmement savante, que la Chine a oubliées depuis mille ans, mais que les musiciens et les danseurs attachés au Palais ont perpétuées jusqu'à nos jours sans altération notable. Au répertoire importé, des artistes japonais ont, au Moyen Âge, ajouté des pièces composées sur des thèmes autochtones, mais selon les normes chinoises. Bien qu'associées parfois à des solennités religieuses, ces danses, exécutées par des interprètes masqués ou non, en costumes de la cour des Tang ou de l'époque de Heian (ixe-xiie s.), jouaient dès l'origine un rôle essentiellement esthétique ; il ressort en effet de tous les textes que, pour les courtisans de Heian, elles étaient avant tout un diver [...]
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Écrit par :
- René SIEFFERT : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales
- Michel WASSERMAN : agrégé de l'Université, docteur en études orientales, professeur à l'Institut franco-japonais de Tōkyō
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Pour citer l’article
René SIEFFERT, Michel WASSERMAN, « THÉÂTRES DU MONDE - Le théâtre japonais », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 02 février 2023. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/theatres-du-monde-le-theatre-japonais/