MERCENAIRES
Le mercenariat définit une fonction militaire ou paramilitaire assurée en contrepartie d'un salaire, comme le révèle l'origine latine du mot (merces, salaire). Assurée par des spécialistes de la guerre, cette activité repose sur des contingents privés prêts à louer leurs services au plus offrant, sans aucune vue patriotique commune. La rémunération peut être relativement faible, pour un métier traditionnellement exercé au profit d'une puissance étrangère et qui, dans l'histoire, se révèle souvent ingrat.
Apparu dès l'Antiquité, le mercenariat n'a cessé de se développer pour connaître son âge d'or, en Occident, de la fin du Moyen Âge jusqu'au xviie siècle. À cette époque, les mercenaires, souvent issus de pays relativement pauvres ou morcelés, représentent la principale force armée pour le pouvoir politique. Ces professionnels de la guerre lui sont indispensables lorsque de véritables armées permanentes font défaut. Leur fidélité repose essentiellement sur un contrat par lequel un salaire leur est versé en échange de leurs services. Leur rôle est par conséquent d'une importance capitale avant la consolidation des États-nations et la constitution d'armées nationales qui ont entraîné leur quasi-disparition à la fin de l'époque moderne. En effet, la conscription et le développement de l'idéal patriotique, à partir des révolutions américaine et française, ont permis de recourir à des effectifs militaires de plus en plus importants. La formation de contingents, le maintien de troupes de conscrits sous les drapeaux offrent, en permanence, les éléments armés destinés à la protection du territoire national et des intérêts de l'État.
Pourtant, après une éclipse de près de deux siècles, le mercenariat reparaît dans la seconde moitié du xxe siècle sous une forme entrepreneuriale, par le biais des sociétés militaires privées (SMP). Il devient récurrent dans les crises inter- ou intra-étatiques, dans un monde où les frontières entre guerre ouverte et guerre secrète sont de plus en plus floues. Cette résurgence invite à porter sur le phénomène un regard historique large, des âges antiques jusqu'à l'actualité tumultueuse du début du xxie siècle.
De l'Antiquité à l'époque moderne
Les grands empires, tout au long de l'Antiquité, ont recours aux services de mercenaires qui sont plus ou moins confondus avec les troupes auxiliaires. On leur reconnaît compétences techniques et prouesses dans la maniabilité des armes les plus récentes. Souvent, ils deviennent indispensables pour les souverains soucieux d'asseoir leur puissance.
Mercenaires-auxiliaires de l'Antiquité
En Égypte, sous l'Ancien Empire (2815-2400), les pharaons s'appuient, en l'absence d'armées permanentes, sur des contingents nationaux mais surtout sur des combattants issus des peuples conquis ou soumis, tels les Nubiens et les Libyens. D'autres nations influent sur l'évolution de l'armement et des techniques militaires. C'est le cas notamment des Hyksôs, peuple ouest-sémitique d'origine nomade, peut-être en majorité des Amorrites, qui, de conquérants, deviennent soumis et contribuent à l'adoption, dans l'armée du pharaon, du cheval et du char, sources de renforcement du potentiel tactique.
Comme les Égyptiens, les Phéniciens, les Perses ou les colonies grecques d'Ionie en Asie Mineure sauront recourir aux troupes mercenaires. Les cités libres de la Grèce procèdent de manière similaire. La Crète et l'Arcadie sont alors considérées comme de véritables réservoirs de guerriers. Les techniques de combat nécessitent un long apprentissage, notamment le maniement des armes de jet. Le mercenariat permet de disposer quasi instantanément d'une force armée composée d'hommes endurants autant qu'expérimentés. Ces soldats d'infanterie légère constituent un appoint, une aide tactique aux guerriers-citoyens de la lourde phalange des hoplites, qui apparaît dès le viie siècle avant J.-C. à la bataille d'Hysiai (669 av. J.-C.).
Xénophon (426 env.-354 av. J.-C.) peut se voir considéré comme l'un des premiers mercenaires. Philosophe à l'esprit d'aventure, cet Athénien a rendu célèbre ce métier par le biais de ses souvenirs rassemblés dans L'Anabase qui décrit la campagne menée au profit du Perse Cyrus. Ce dernier, fils de Darius II, aspirait au trône lorsque son père meurt à la fin de l'année 405. Son frère aîné, Artaxerxès II, qu'il hait, est appelé à régner. Cyrus cherche alors à le détrôner et sollicite, en renfort de sa propre armée, près de dix mille mercenaires grecs qu'il obtient grâce à ses bonnes relations avec Sparte. Ces hommes étaient tous mus par la perspective du formidable butin qu'on leur fit miroiter et qu'ils ne virent jamais. Après la mort de Cyrus, il n'était plus question, pour eux, que de sauver leur vie. Alexandre le Grand lui-même s'appuie sur des milliers de mercenaires dans sa conquête de l'Empire perse. Par la suite, les armées hellénistiques continuent de recruter largement des mercenaires, en particulier des Gaulois.
Pendant les guerres puniques (264-146 av. J.-C.), Carthage dispose, elle aussi, de troupes mercenaires pour l'armée de Sicile. On y croise divers peuples : Ligures, Lusitaniens, Baléares, Grecs, Égyptiens, Cantabres, Cariens, Lydiens. Furieux de ne pas recevoir leurs salaires, ils se révoltent contre Carthage (241-238 av. J.-C.). Cette crise s'achève par leur massacre. Rome elle-même s'appuie largement sur des mercenaires, comme les frondeurs baléares ou les archers crétois et scythes, notamment lors de la deuxième guerre punique (219-201 av. J.-C.). Cet appui se fait plus massif à la fin de l'Empire, avec la consolidation des troupes auxiliaires majoritairement composées de Gaulois et de Germains. Les troupes auxiliaires assurent la pérennité de la puissance romaine aux limes (frontières) de l'Empire, de la Bretagne jusqu'aux portes de l'Orient. Au Bas-Empire, des mercenaires germains, appelés foederati(fédérés), servent ainsi dans l'armée, au gré d'une alliance proclamée avec Rome en échange de la défense des territoires sur lesquels ils sont installés. Ce fut le cas des Wisigoths en Dacie (en 382 apr. J.-C.). Progressivement, les peuples germaniques transforment l'armée romaine et s'intègrent aux populations de l'Empire. Ils procurent à celle-ci de nombreux généraux, contribuent à faire évoluer les méthodes de combats et favorisent l'instauration d'unités plus mobiles aux effectifs plus réduits.
Le Moyen Âge
Continuatrice de l'Empire romain, Byzance fait appel de manière quasi permanente à des troupes étrangères, constituées de Nordiques, de Germains, mais aussi de Francs et de Normands d'Italie. Les guerriers vikings sont chargés de la protection des empereurs byzantins pendant près de quatre cents ans, jusqu'au milieu du xie siècle. Constantinople les envoie aussi bien en Anatolie que dans l'Adriatique. Les empereurs byzantins n'hésitent pas à employer leurs anciens ennemis, tels les Turcs, les Alains et les Scythes. Se forment alors des armées vénales, dont la cohésion et l'ardeur s'avèrent assez fragiles.
À l'époque médiévale, les forces mercenaires se mettent fréquemment au service des puissances souveraines. Les rois capétiens ont recours à des chefs mercenaires dont l'histoire a retenu les noms : le Brabançon Lambert Cadoc, au service, tout comme Lupicare et Brandimer, du roi de France Philippe Auguste (1180-1223), Mercadier et Brandin, à la solde des Plantagenêts.
Pendant la guerre de Cent Ans (1337-1453), le recours au mercenariat s'intensifie tant du côté anglais que du côté français. Le roi Charles VII (1422-1461), en dépit de ses efforts pour créer une armée nationale, ne peut éviter l'emploi d'un nombre croissant de mercenaires. Eux-mêmes se structurent en véritables unités, dénommées Grandes Compagnies, représentées par leurs capitaines qui louent leurs services aux princes d'Europe. On peut citer, par exemple, la compagnie d'Arnaud de Cervol, surnommé l'Archiprêtre, ou la compagnie des Tards-Venus dont le chef gascon, Séguin de Badefols, avait pour devise : « Amy de Dieu, anemy de tout le monde. » Les Grandes Compagnies deviennent puissantes. Elles sont particulièrement redoutées lorsque viennent les trêves ou que l'argent pour les payer manque. Dès la fin de la campagne ou l'interruption du versement de la solde, elles se transforment en bandes de brigands. Les rois de France se dépêchent alors de détourner ce nouveau fléau vers d'autres pays, au profit de quelques conquêtes.
Prudent, le roi Louis XI (1461-1483) s'appuie sur certains contingents de soldats étrangers pour constituer une base permanente de son infanterie royale. Les archers écossais utilisés comme garde d'élite, les Suisses, réputés pour leur combativité, sont durablement appréciés par la couronne de France. Ainsi, de 1516, avec la signature de la paix perpétuelle, jusqu'en 1792, le royaume de France obtient des Suisses qu'ils s'engagent à ne plus fournir de combattants à ses ennemis. En revanche, les rois de France sont libres de recruter dans leurs cantons.
La « condotta » et l'apogée du mercenariat à la Renaissance
En Italie, les condottieri, chefs de compagnies mercenaires, et leurs troupes, célèbres dans toute l'Europe, s'illustrent dès le xive siècle et durant toute la Renaissance, animés par tout contrat (condotta) qu'ils peuvent obtenir en se mettant au service des princes ou des villes. Ces seigneurs de la guerre succèdent ainsi aux Grandes Compagnies, avant d'être eux-mêmes bientôt détrônés par les piquiers suisses et les lansquenets allemands. En Italie, La présence des mercenaires est facilitée par un contexte de fragmentation politique et de guerres incessantes. Le professionnalisme des condottieri incite les cités-États à ne plus tenir compte des milices citadines dont elles se méfient, et qu'elles désarment en conséquence. Parmi les chefs italiens les plus remarqués figurent Francesco Sforza (1401-1466), qui s'empare du duché de Milan, Sigismondo Pandolfo Malatesta (1417-1468), qui loue ses services au pape puis à diverses cités italiennes, ou Bartolomeo Colleoni (1400 env.-1475), qui apprend le métier des armes sous les ordres de Sforza.
Toutefois, à la différence des cités-États qui, elles, souhaitent des victoires rapides, les condottieri, en véritables adjudicataires, préfèrent minimiser les risques et voir se prolonger les conflits dont ils vivent. L'Anglais John Hawkwood, commandant de la Compagnie blanche et rare condottiere à ne pas mourir au combat, résume l'attitude de sa profession par une réplique lancée à deux moines qui, un jour, le saluent avec la formule traditionnelle « Que Dieu vous apporte la paix » ; ce à quoi il répond : « Vous ne savez donc pas que je vis de la guerre et que la paix me ruinerait. »
La condotta est, dans ce contexte, un moyen, pour tout employeur, de réaliser ses prétentions et de contrôler un élément déstabilisateur, susceptible de vivre sur le pays. Les condottieri imprègnent leur marque sur les affaires militaires de l'Europe occidentale de la fin du Moyen Âge au début de l'ère moderne (xive-xvie s.).
Du Moyen Âge à l'époque moderne, le mercenariat est donc l'unique moyen rapide pour les États de disposer de troupes aguerries, alors que les armées permanentes ne se mettent en place, peu à peu, qu'à partir du xvie siècle, telle l'armée espagnole, véritable avant-garde du nouveau processus. Les effectifs sont souvent largement insuffisants pour répondre aux besoins en hommes des campagnes militaires.
La différence avec une force militaire permanente et nationale, anachronique à cette époque, ne se situe donc, en fait, que sur le fondement du service, qui repose uniquement sur l'argent et l'absence de tout idéal patriotique. Bien que les autorités soient parfaitement conscientes des risques que comporte l'emploi des mercenaires, ces derniers restent indispensables.
Du mercenaire au soldat
Progressivement, l'armée féodale se transforme en armée de métier, à l'image des armées suédoise ou espagnole. En outre, grâce notamment à la découverte de nouvelles terres et à leur exploitation, les monarchies européennes renforcent leur capacité de financement des guerres modernes. L'argent permet la fonte de canons et la constitution de troupes d'infanterie. La chevalerie est remplacée par la cavalerie lourde ou légère. L'arme à feu, surtout à partir du xve siècle, vient bouleverser le schéma sociologique du champ de bataille ; l'infanterie, piétaille jusque-là méprisée, devient la reine des batailles. En France même, dès le début du xvie siècle, l'infanterie est composée à partir des anciennes bandes, mélangeant Picards, Piémontais et Gascons aux mercenaires suisses et allemands.
Au cours de la seconde moitié du xviie siècle et au xviiie siècle, les militaires étrangers s'intègrent peu à peu dans les diverses armées européennes. En même temps que les États-nations se mettent en place, les armées se forgent dans la durée, intégrant la dimension de l'incorporation sous forme d'engagement ou de conscription. Cette fidélisation institutionnelle – et parfois forcée – de soldats altère peu à peu le recours à une grande échelle aux forces de mercenaires.
Pourtant, le phénomène reste important. La guerre de Trente Ans (1618-1648) témoigne de l'emploi massif, une fois encore, de formations mercenaires. Des chefs de cette époque sont restés célèbres : le Tchèque Albrecht Wallenstein (1583-1634), les Allemands Ernst von Mansfeld (1580-1629), Christian d'Anhalt (1568-1630), Christian de Brunswick (1599-1626), Bernard de Saxe-Weimar (1604-1639) ou les Italiens Ottavio Piccolomini (1599-1656) et Ambrogio Spinola (1569-1630), les Belges Bucquoy (1571-1621) et Tilly (1559-1632). On retrouve, là encore, sous leurs ordres, des contingents provenant de l'Europe entière, de l'Irlande jusqu'à la Hongrie.
Plus tard, des aventuriers, avides de reconnaissance ou par ambition politique, parcourent l'Europe et offrent leurs services à divers pouvoirs temporels. Maurice de Saxe (1696-1750) fut ceux-là. Ce fils naturel d'Auguste de Saxe et d'Aurore de Königsmark lutte au côté de Pierre le Grand contre les Suédois, puis contre les Turcs, avant de se mettre au service de la France en 1720. En dépit du sentiment d'échec laissé par son aventure de Courlande, dans l'actuelle Lettonie, Maurice de Saxe remporte alors de nombreux succès militaires qui lui permettent de devenir maréchal de France, maréchal des camps puis des armées du roi, après sa victoire à Fontenoy (1745). On peut également citer le Vaudois Henri Jomini (1779-1869) ou le général Moreau (1763-1813).
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Écrit par
- Pascal LE PAUTREMAT : docteur en histoire, enseignant en histoire et géographie, en géopolitique et défense intérieure
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