MACROÉCONOMIE Théorie macroéconomique
Les informations entendues ou lues par le public font couramment état de grandeurs économiques. Elles peuvent concerner une entreprise ou une collectivité locale particulière. Mais les grandeurs en question résultent souvent de la synthèse d'informations détaillées et contribuent à caractériser l'activité économique d'une entité plus large, souvent même de tout un pays. On les dit alors macroéconomiques. Elles peuvent se présenter sous la forme d'agrégats quand la synthèse a visé à sommer en quelque sorte les grandeurs de même nature observées sur les unités élémentaires de l'entité concernée, par exemple valeur ou volume de la production globale réalisée par tous les producteurs du pays dans une année donnée. Elles peuvent aussi prendre la forme d'indices conçus de façon à permettre des comparaisons synthétiques dans le temps ou dans l'espace, par exemple indice des prix à la consommation publié chaque mois, ou indices du niveau de vie dans divers pays.
La macroéconomie sera définie ici comme le champ que l'ensemble des grandeurs macroéconomiques vise à décrire, surtout grâce à la comptabilité nationale. Cette dernière est précisément structurée afin de donner à la description la pertinence requise pour les besoins des divers utilisateurs des informations. Le mot macroéconomie est aussi employé pour désigner la partie de la discipline économique qui, traitant des faits et phénomènes globaux, donc macroéconomiques, doit dégager des relations explicatives entre grandeurs.
Quiconque réfléchit aux réalités économiques des sociétés modernes prend conscience de leur complexité : des agents, nombreux et divers, entretiennent entre eux des relations plus ou moins permanentes et de natures multiples. Cependant les phénomènes macroéconomiques se présentent souvent sous des traits simples : ainsi l'expansion ou la dépression traduisent des tendances globales agissant simultanément sur de multiples grandeurs et affectant peu ou prou la grande majorité des agents. Pour être à la fois adéquate et précise, la théorie macroéconomique doit tenir compte aussi bien de cette complexité que de cette simplicité.
Deux approches sont a priori possibles pour construire la théorie macroéconomique. La première, purement empirique, consiste à dégager les caractéristiques générales révélées par l'observation des données macroéconomiques. La seconde entend tirer aussi parti de ce à quoi l'étude du champ microéconomique a pu conduire. Le fil directeur va suivre ici d'abord la première approche, avant d'en venir à la nécessité de la seconde, puis à illustrer celle-ci par trois théories relativement élémentaires portant respectivement sur le multiplicateur keynésien, sur le phénomène d'accélération et sur les facteurs de la croissance économique. Afin de ne pas en rester à ces antécédents de la théorie macroéconomique actuelle, les parcours de la recherche au cours d'un demi-siècle seront illustrés par trois exemples : les déterminants de l'épargne des ménages, le rôle et la conception des modèles macroéconométriques, les principes de la politique monétaire.
Objectifs et méthodes de la macroéconomie
Qu'attendre de la théorie macroéconomique ? D'abord l'explication de phénomènes macroéconomiques. Or cette explication ne doit pas s'en tenir aux causes les plus immédiates et ne peut que très partiellement recourir à l'expérimentation.
Recherche des causes et instruments des politiques
Dire par exemple que la hausse du niveau des prix est due à celle du niveau des salaires ne suffit pas : même de manière immédiate d'autres causes peuvent être intervenues ; surtout les deux phénomènes sont interdépendants. En amont dans l'étude des causes et des effets interviennent aussi de multiples interdépendances entre agents, entre vendeurs, acheteurs, employés, employeurs, autorités publiques, etc. Et cela n'est pas particulier à l'exemple retenu ici : les interdépendances sont omniprésentes en économie. Approfondir les phénomènes oblige à décomposer les chaînes causales et en étudier les divers maillons, plus ou moins bien constatés ou supposés, et cela en fonction d'un contexte qu'il faut caractériser.
De telles analyses des relations causales s'imposent aussi dans les sciences de la nature ou de la vie. Mais il est alors souvent possible de concevoir et de réaliser des expériences grâce auxquelles les relations élémentaires seront testées et quantifiées. Les économistes, quant à eux, doivent le plus souvent se satisfaire de données statistiques non expérimentales. Des techniques économétriques ont été élaborées, ou doivent être trouvées, en vue d'en déduire objectivement des tests et estimations, mais avec moins de précision que ce qui aurait été possible grâce à des données expérimentales. Confrontés aux demandes de plus en plus étendues concernant l'explication des phénomènes macroéconomiques, théoriciens et économètres cherchent à apporter des réponses qui soient valables au niveau le plus fondamental possible. Ils progressent dans cette voie, quoique avec d'indéniables difficultés.
Le progrès des connaissances scientifiques n'est pas seul en cause, car on attend aussi de la théorie macroéconomique qu'elle éclaire le choix des politiques conjoncturelles et structurelles. Plus précisément, l'autorité publique, ministre en charge de l'économie ou gouverneur de la banque centrale, cherche à atteindre des objectifs relatifs au plein-emploi, à la stabilité des prix, à la croissance des niveaux de vie... Mais les atteindre n'est pas directement en son pouvoir. C'est surtout le fonctionnement du système économique qui y conduira ou non. Cependant l'autorité publique dispose de moyens qui influenceront le cours de l'économie. On parle habituellement en théorie macroéconomique d'instruments. On attend des macroéconomistes que d'une part ils désignent la combinaison d'instruments à utiliser, que d'autre part ils recommandent avec quelle force utiliser chacun d'eux.
Cette visée opératoire de la recherche macroéconomique n'est en rien antinomique de l'attente d'explications des phénomènes. Mais elle s'y ajoute en imposant la considération des mécanismes par lesquels les actions sur les instruments affecteront les performances économiques. Que cela puisse ne pas aller de soi apparaîtra ici plus loin à propos de la politique monétaire.
La théorie macroéconomique se présente de nos jours en chapitres (croissance économique, fluctuations conjoncturelles de l'emploi, inflation, etc.). Ces chapitres sont certes interconnectés, mais chacun est aussi assez autonome. En effet, d'une part la diversité des aspects importants de la macroéconomie est telle que chacun requiert une attention particulière, d'autre part l'ensemble des théories macroéconomiques est assez disparate, encore loin du stade où il pourrait prétendre constituer un tout intégré dans une solide architecture.
Chaque chapitre contient un corps de faits scientifiques catalogués et le plus souvent quantifiés, ainsi qu'une théorie, voire plusieurs théories plus ou moins spécialisées, plus ou moins concurrentes. Chaque théorie s'exprime non seulement par un énoncé mais aussi par un modèle mathématique complètement spécifié, voire par plusieurs modèles partiellement emboîtés les uns dans les autres.
Quantification et mathématisation ont été engagées en économie dès le milieu du xixe siècle, mais avaient encore une valeur très contestée au milieu du xxe, alors que la théorie macroéconomique acquérait une identité propre. La situation actuelle est le résultat d'une évolution que nous allons retracer.
Premières approches littéraires et mathématisation
Les faits économiques ont depuis longtemps inspiré toute une littérature. Et celle-ci peut être l'occasion d'analyses à portée plus générale qu'une simple description historique. Ainsi s'est constitué ce qui s'appelait autrefois l'économie politique.
Cette production littéraire sur l'économie donnait la place principale à la macroéconomie bien avant que le terme et la comptabilité nationale soient introduits et couramment utilisés au milieu du xxe siècle. C'est au sein de cette production littéraire qu'est née la conceptualisation de l'économie et qu'elle a peu à peu gagné en rigueur. De même, c'est sous cette forme que les premières théories économiques s'exprimèrent dès le xviiie siècle, devenant de plus en plus fondatrices au début du siècle suivant, avec notamment les écrits de Jean-Baptiste Say (1767-1832) et de David Ricardo (1772-1823).
Mais du fait des interdépendances caractéristiques de l'économie, la modélisation mathématique s'imposait à partir d'un certain degré de complexité dans l'analyse. L'équilibre économique général, élaboré par Léon Walras à partir de 1874 (Éléments d'économie politique pure), et la théorie du capital de Knut Wicksell (exposée dans Valeur, capital et rente en 1893 et poursuivie dans Lectures d'économie politique en 1901-1906), par exemple, n'auraient jamais pu être clairement exprimés dans le langage discursif ordinaire. Ainsi se développa une économie mathématique dont la lecture effectivement nécessitait une formation mathématique et qui introduisait les disciplines de la modélisation (expliciter les hypothèses, distinguer les variables endogènes, dont les valeurs étaient seules déterminées par le modèle, des variables exogènes et des paramètres, etc.). Au milieu du xxe siècle, la modélisation, ses disciplines et le raisonnement mathématique envahirent les publications académiques sur l'économie. La théorie macroéconomique ne pouvait y échapper et en bénéficia incontestablement. Mais l'évolution a été et reste irréversible. Chacun peut constater qu'elle n'a pas nui à la production littéraire d'analyses économiques. Mais une saine division du travail entre théoriciens et autres spécialistes s'est établie.
Approches purement empiriques
Simultanément une grande importance fut aussi attribuée à la quantification des grandeurs macroéconomiques et de leurs évolutions conjointes. Dans la seconde moitié du xixe siècle, la préoccupation fut portée par les écoles historiques anglaise et allemande. Dans la première moitié du xxe, elle anima les programmes de recherche du Français François Simiand (1873-1935) et de l'Américain Wesley Mitchell (1874-1948) fondateur et longtemps directeur du National Bureau of Economic Research à New York (N.B.E.R.). Le N.B.E.R. se spécialisa d'abord dans l'étude de la conjoncture et des cycles économiques puis, avec l'Américain d'origine russe Simon Kuznets (1901-1985), dans celle de la croissance. C'est là que se précisa le mieux la mesure des grands agrégats avant l'apparition de la comptabilité nationale.
Bien des économistes suivant cette voie entretinrent l'espoir de construire la théorie des phénomènes macroéconomiques grâce à des investigations purement empiriques. De nos jours encore, l'approche, mettant en œuvre les techniques de l'analyse des données, notamment pour les séries temporelles, permet de dégager des « faits stylisés » sous la forme de concordances, de proportionnalités ou d'antériorités qui se vérifient très souvent. Repérer de tels faits n'est pas négligeable, surtout pour la prévision à terme d'un à trois trimestres. Mais depuis des débats datant des années 1940 et 1950, il est admis que cela ne suffit pas et qu'il est possible de faire mieux en vue d'explications scientifiques probantes.
D'une part, l'antériorité des variations d'une grandeur par rapport à celles d'une autre grandeur n'est pas une preuve suffisante de ce que les premières soient la cause des secondes : elles pourraient résulter les unes et les autres des variations d'une tierce grandeur dont il n'est pas tenu compte. Plus généralement d'ailleurs, une corrélation statistique ne suffit pas à établir une causalité. D'autre part, la connaissance des grandeurs globales n'épuise pas ce que les économistes peuvent savoir des phénomènes, notamment quant aux conditions dans lesquelles opèrent les agents, entreprises productrices ou ménages consommateurs, et quant aux motivations qui inspirent leurs actions. Cette autre source de connaissance est qualifiée de microéconomique, quoiqu'elle porte aussi sur les comportements des banques centrales et des autorités publiques.
Il faut évidemment surpasser les limites auxquelles conduirait l'exploitation aveugle des seules données macroéconomiques et parvenir à combiner la connaissance de ces données avec d'autres connaissances disponibles sur le fonctionnement de l'économie. Cela se fait essentiellement par l'introduction d'une modélisation préalable, créant un cadre où données macroéconomiques sont éventuellement enrichies de données microéconomiques.
L'opération devient alors plus ambitieuse et techniquement plus difficile à mener. Afin d'en préciser les modalités, est apparue dans les années 1930 une discipline nouvelle, l'économétrie, issue de la statistique mathématique, qui a pour objet les méthodes conduisant à faire des inférences à partir de données statistiques. On peut ainsi dire que l'économétrie est cousine de l'économie mathématique bien qu'elle s'en différencie de plus en plus.
Fondements microéconomiques de la macroéconomie
Sous cette dénomination est comprise la modélisation microéconomique requise pour tirer au mieux parti des observations et des acquis théoriques élémentaires en vue de faire progresser la théorie macroéconomique. Découvrir ces fondements, cette modélisation, suppose à chaque fois une réflexion sur ce qui peut le plus affecter le phénomène macroéconomique étudié. À ce stade choisir un exemple sera plus éclairant que prétendre donner une vision complète des modalités variées grâce auxquelles les fondements en question peuvent être dégagés.
Choisissons les déterminants, à moyen terme, de la demande de travail par les entreprises. L'avantage de cet exemple, par rapport à celui qui concernerait les déterminants à court terme de la même demande, sera d'obliger à faire intervenir le prix des biens produits et les coûts des facteurs employés. À court terme, c'est-à-dire à l'échelle temporelle de quelques trimestres, les variations de la demande de travail d'une entreprise reflètent de très près les variations de sa production, de sorte qu'on peut souvent se satisfaire de l'hypothèse selon laquelle la demande globale de travail (par toutes les entreprises réunies) reflète la production globale.
En revanche, à l'échelle de plusieurs années, on considère souvent comme essentiel de tenir compte des variations des prix et des coûts susceptibles d'influencer les projets des entreprises. La théorie microéconomique de l'entreprise a justement étudié cette influence, ce qui l'a conduit à définir une caractéristique des techniques de production disponibles : « l'élasticité de substitution entre travail et capital ». Si le coût d'usage du capital diminue durablement par rapport au coût du travail, les entreprises opérant dans un secteur où cette élasticité a une valeur élevée trouveront avantageux de retenir des projets impliquant une large substitution du capital au travail. Le macroéconomiste qui étudie comment la demande de travail est susceptible d'évoluer à l'horizon de plusieurs années doit le savoir.
Approfondir cet exemple conduirait à étudier comment une élasticité globale de substitution entre travail et capital peut résulter des élasticités propres aux divers secteurs ainsi que des substitutions qui peuvent s'opérer conjointement entre les biens demandés quand les prix varient du fait des variations des coûts des facteurs. On perçoit intuitivement l'existence d'un effet d'agrégation qui caractérise le phénomène macroéconomique de substitution du capital au travail, phénomène dont les fondements microéconomiques résident à la fois dans la théorie de l'entreprise, dans la théorie de l'équilibre général du système des prix, voire dans les résultats d'études empiriques microéconomiques.
Traiter plus loin (cf. partie 3) de l'épargne des ménages en relation avec leur cycle de vie montrera comment, depuis les années 1950, l'étude des fondements microéconomiques a conduit à des révisions profondes des idées quant aux lois macroéconomiques régissant cette épargne.
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Écrit par
- Edmond MALINVAUD : professeur honoraire au Collège de France
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