Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

WITTGENSTEIN LUDWIG (1889-1951)

Le système du « Tractatus »

Lorsqu'il écrit le Tractatus, Wittgenstein a rencontré le problème philosophique en réfléchissant sur la nature des énoncés scientifiques, et peut-être aussi en s'interrogeant sur le sens des écrits de Tolstoï. Le livre propose une réponse à la question : Que peut-on exprimer ? Cette réponse est résumée dans la préface de l'auteur : « Ce qui peut être dit peut être dit clairement ; et ce dont on ne peut parler, il faut le passer sous silence. »

L'ouvrage présente ainsi à la fois le caractère d'un commentaire critique des modes d'expression de la science et de la philosophie, et celui d'une succession systématique d'aphorismes dogmatiquement posés. L'organisation de l'ensemble apparaît lorsque l'on regroupe ainsi les aphorismes principaux, numérotés de 1 à 7 : les deux premiers posent le monde (1. « Le monde est tout ce qui a lieu. » 2. « Ce qui a lieu, le fait, est l'existence d'états de choses. ») ; les quatre suivants posent l'image du monde, qui est la pensée logique (3. « L'image logique des faits est la pensée. » 4. « La pensée est la proposition pourvue de sens. » 5. « La proposition est une fonction de vérité des propositions élémentaires. » Le sixième aphorisme indique la forme générale d'une fonction de vérité) ; le dernier et septième aphorisme clôt enfin le Tractatus sur les limites du discours logique : « Ce dont on ne peut parler, il faut le passer sous silence. »

L'enchaînement des pensées s'effectue ici par emboîtement des élucidations de concepts successivement introduits. Et sous chacun des aphorismes principaux, sauf évidemment le dernier, apparaissent des commentaires, dont le niveau d'approfondissement est marqué par la numérotation décimale, qui fait apparaître, par exemple, 1.1 comme commentaire de 1 ; 1.11, 1.12 et 1.13 comme commentaires parallèles de 1.1, etc.

Pour Wittgenstein, le seul langage pourvu de sens est donc celui qui produit une image du monde, c'est-à-dire dont la forme logique reflète la structure des faits. L'auteur postule, en effet, que tout fait est exprimable par une proposition obtenue en combinant des liaisons de propositions « atomiques » (thèse de l'atomisme logique) et dont la valeur de vérité ne dépend que de celle de ses ultimes composantes (thèse d'extensionnalité). Cette forme logique joue le rôle d'un système universel de référence dont la « géométrie » délimite nécessairement et a priori les structures d'un monde possible. Ces contraintes, qui sont donc à la fois celles du langage pourvu de sens (de la pensée) et du monde, sont manifestées par les tautologies du calcul des propositions. Wittgenstein est l'inventeur d'une présentation significative des liaisons propositionnelles au moyen de « tableaux de vérité ». Un tel tableau, pour une liaison binaire, montre les combinaisons posées comme possibles entre les valeurs de vérité de deux propositions. Une telle liaison apporte donc, en général, une information sur le monde que seul un constat empirique peut vérifier : affirmer que « p ou q » est vrai, c'est avoir constaté ou p, ou q, ou les deux. La tautologie est cette forme dégénérée de la liaison qui demeure vraie quelles que soient les valeurs de vérité des propositions qu'elle combine ; la proposition « p ou non p », par exemple, est vraie indépendamment de tout constat, puisqu'elle l'est pour p vraie comme pour p fausse. Elle n'exprime en elle-même aucun fait, composé ou simple ; elle ne dit rien du monde, mais elle montre la forme nécessaire du monde, une contrainte logique à laquelle ne peut se soustraire aucun constat de fait.

Le fait lui-même est défini comme « existence d'états de choses » (Bestehen von Sachverhalten[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Jean-Pierre COMETTI et Gilles Gaston GRANGER. WITTGENSTEIN LUDWIG (1889-1951) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Wittgenstein - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Wittgenstein

Ludwig Wittgenstein - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Ludwig Wittgenstein

Ludwig Wittgenstein - crédits : The Granger Collection, New York

Ludwig Wittgenstein

Autres références

  • INVESTIGATIONS PHILOSOPHIQUES, Ludwig Wittgenstein - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-Pierre COMETTI
    • 1 008 mots
    • 1 média

    Les Investigations philosophiques ont été publiées en 1953, peu après la mort de Ludwig Wittgenstein (1889-1951), à partir de deux manuscrits que l'auteur avait laissés dans un état inégal d'élaboration, et qui en forment les deux parties. À la différence du Tractatus logico-philosophicus...

  • TRACTATUS LOGICO-PHILOSOPHICUS, Ludwig Wittgenstein - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-Pierre COMETTI
    • 918 mots
    • 1 média

    Le Tractatus logico-philosophicus de Ludwig Wittgenstein (1880-1951) a été publié pour la première fois sous le titre « Logisch-philosophischen Abhandlung » en 1921, dans les Annalen der Naturphilosophie. Il a été suivi, en 1922, d’une édition en anglais, sous le titre suggéré par G. E. Moore....

  • ANSCOMBE ELIZABETH (1919-2001)

    • Écrit par Universalis
    • 434 mots

    La philosophe britannique Elizabeth Anscombe, proche de Ludwig Wittgenstein, fut, avec Georg Henrik von Wright, l'exécutrice testamentaire de son œuvre. Ses idées personnelles exercèrent par ailleurs une certaine influence dans les cercles philosophiques.

    Née le 18 mars 1919 à Limerick, en...

  • BOUVERESSE JACQUES (1940-2021)

    • Écrit par Christiane CHAUVIRÉ
    • 724 mots
    • 1 média

    Figure majeure de la philosophie française, Jacques Bouveresse est né le 20 août 1940 à Epenoy, un village des hauts plateaux du Doubs. On lui doit une œuvre abondante – quinze ouvrages en dix-huit ans –, surtout consacrée au grand philosophe austro-anglais Ludwig Wittgenstein, mais aussi...

  • CAVELL STANLEY (1926-2018)

    • Écrit par Sandra LAUGIER
    • 1 165 mots
    • 1 média

    Né 1er septembre 1926 à Atlanta (Georgie), Stanley Cavell, après avoir étudié et enseigné à Harvard et à Berkeley, est devenu professeur à Harvard University, où s'est déroulée toute sa carrière. Il représente, par sa revendication d'une voix philosophique de l'Amérique, un courant tout à fait original...

  • COMETTI JEAN-PIERRE (1944-2016)

    • Écrit par Jacques MORIZOT
    • 900 mots

    Né à Marseille le 22 mai 1944, fils d’émigrés italiens, Jean-Pierre Cometti a d’abord été un guitariste de jazz. Il entreprend assez tardivement des études de philosophie, avant d’enseigner dans des lycées, en France, notamment à Millau, et surtout à l’étranger, au Maroc, en Allemagne et...

  • Afficher les 35 références

Voir aussi