Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

FRÉNÉTIQUES LES

On appelle souvent frénétiques de nombreux écrivains français, vers 1830, que regroupe à proprement parler une tendance plutôt qu'une école. Cette tendance se ressent de l'influence du roman noir anglais de la fin du xviiie siècle qui, traduit et imité à des milliers d'exemplaires, obtint un succès triomphant. Il s'agit principalement des romans d'Ann Radcliffe (L'Italien, Les Mystères d'Udolphe) et de Lewis (Le Moine), qui introduisent dans la littérature, en les vulgarisant, les thèmes du surnaturel, du démoniaque (pactes avec le Diable), des forces mauvaises déchaînées (crimes, sang, folie) et de l'innocence persécutée. Il subit aussi l'influence exemplaire de la personnalité et de la pensée de Byron : narcissisme et attirance vers le mal.

Cette veine du frénétisme, entretenue avec style dans le fantastique de Nodier, trouve son plein épanouissement dans l'œuvre de toute une génération d'écrivains mineurs, satellites de Victor Hugo et des « grands » du romantisme, que la critique désigne du nom de « petits romantiques ». Les plus caractéristiques, dont les œuvres se situent à peu près entre 1830 et 1835, furent Pétrus Borel (Rhapsodies, Champavert), Philotée O'Neddy (Feu et flamme), Xavier Forneret (L'Homme noir), Charles Lassailly (Les Roueries de Trialph, notre contemporain avant son suicide), le Gérard de Nerval et le Théophile Gautier des Contes du bousingot. Hyper-romantiques, les frénétiques vécurent leurs sentiments avec plus d'intensité que tous les autres. Plus absolu aussi fut leur désir de singularité, leur volonté de se retrancher d'une société qui de son côté les rejetait : dandysme en haillons aussi arrogant que celui des « fashionables » des boulevards. Ils vivent leur misère, tant matérielle que morale, comme un tribut payé à la gloire, une ascèse, un salut... Le tribut est lourd ; la gloire se fait longue à attendre, les chimères poétiques se paient le plus souvent au prix de la folie ou du suicide.

Haine de la société, défiance de la femme, attirance de la mort, goût du grinçant ; les frénétiques ne retiennent que les aspects les plus noirs de ce romantisme qu'ils cultivent avec violence et rage, se heurtant à la totale incompréhension, voire à la dérision des contemporains. Parce qu'ils sont mal déliés encore de certaines formes classiques, leurs débordements passionnels détonnent d'autant plus. Leurs poèmes, drames et romans oscillent entre le grotesque et le sublime, toujours parés cependant du charme d'un baroque étrange. Les surréalistes, séduits par l'audace et le modernisme des frénétiques, ont réhabilité ces méprisés de la fortune et la critique contemporaine leur consacre une attention de plus en plus importante.

— France CANH-GRUYER

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

France CANH-GRUYER. FRÉNÉTIQUES LES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BOREL PIERRE-JOSEPH D'HAUTERIVE dit PÉTRUS (1809-1859)

    • Écrit par France CANH-GRUYER
    • 1 016 mots

    Chef de file de ceux que l'on désigne communément du nom de « petits romantiques français », boudé par le succès de son vivant, Pétrus Borel s'impose aujourd'hui comme l'un des écrivains les plus originaux du romantisme.

    Il est le douzième des quatorze enfants d'une...

  • CÉNACLES ROMANTIQUES

    • Écrit par France CANH-GRUYER
    • 2 432 mots
    • 1 média
    ...un foyer. C'est la vie de bohème, pleine de fantaisie et de gaieté, avec des moments grandioses de mystifications macabres, d'orgies et de beuveries. Cette frénésie, qui correspond plus à un jeu littéraire qu'à une réalité, traduit, cependant, leur immense appétit de vie, leur haine de la mesure et de...
  • FORNERET XAVIER (1809-1884)

    • Écrit par France CANH-GRUYER
    • 357 mots

    Poète romantique français à peu près inconnu à son époque, Forneret publia, grâce à une fortune personnelle, tous ses ouvrages à compte d'auteur. Trois drames, dont, en 1835, L'Homme noir (surnom adopté ultérieurement par le poète), annoncés à grand renfort de publicité, furent joués...

  • MATURIN CHARLES ROBERT (1782-1824)

    • Écrit par Ann Daphné GRIEVE
    • 333 mots

    Personnage qui séduit les surréalistes par son extravagance : danseur, dandy, allant à la pêche en bas de soie ou portant une hostie rouge au front pour signaler qu'il se livre à la composition littéraire, Maturin débute pourtant dans la carrière ecclésiastique après de sérieuses études à Dublin,...

  • Afficher les 7 références

Voir aussi