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FERRÉ LÉO (1916-1993)

« Je ne suis qu'un artiste de Variétés et ne peux rien dire qui ne puisse être dit “de variétés”, car on pourrait me reprocher de parler de choses qui ne me regardent pas. » Cette phrase qui ouvre Le Conditionnel de Variétés, un texte de 1971, résume assez bien la démarche de Ferré. Clamant son anarchisme haut et fort, il intègre le monde du show-business sans jamais cesser de vouloir séduire le plus grand nombre. Provocateur érudit, autant doué pour la musique que pour la poésie, il demeure l'une des figures majeures de la chanson française.

Léo Albert Charles Antoine Ferré voit le jour un 24 août, jour anniversaire de la Saint-Barthélemy, et s'éteint à Castellina in Chianti en Toscane, un 14 juillet, comme un ultime pied-de-nez. Il lègue un répertoire considérable qui n'a pas fini d'être exploré. Il a su libérer la chanson de toutes ses contraintes, méprisant le format commercial de 3 minutes, abandonnant la rime pour une prose incantatoire, osant marier l'argot au lyrisme et Debussy au musette. Il a fait descendre Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Aragon dans la rue et s'est offert le luxe, en 1975, de remplir le palais des Congrès de Paris, cinq semaines durant, en dirigeant les cent quarante musiciens et choristes de l'orchestre des concerts Pasdeloup dans un répertoire où sa propre musique côtoyait celle de Beethoven et de Ravel.

Certains lui reprochent son manque de sobriété, ses facilités, son impudeur, ses incohérences et ses contradictions. Toutes les réserves ne doivent cependant pas masquer ce qui est primordial : Léo Ferré est certainement le seul artiste qui a donné un langage vraiment critique à la chanson avec une œuvre magistrale empreinte d'une immense tendresse pour l'Homme malgré les crachats qu'il n'a cessé de déverser sur lui.

Cette blessure d'où je viens

Il naît à l'abri de la Première Guerre mondiale dans la principauté de Monaco. Son père, Joseph, est directeur du personnel de la Société des bains de mer, et sa mère, Marie (dite Charlotte), possède un atelier de couture. Lucienne, sa sœur, a trois ans. Ses grands-parents maternels, Scotto, sont venus d'Italie. Du côté Ferré, le grand-père, cocher de fiacre à Nice, est originaire du Piémont.

En 1923, il rejoint la chorale de la maîtrise de la cathédrale de Monaco et, cette même année, commence à apprendre le solfège et l'harmonie. À l'âge de neuf ans, il devient pensionnaire dans le collège Saint-Charles de Bordighera, situé de l'autre côté de la frontière, entre Vintimille et San Remo. Il passe huit années dans cet établissement chrétien dont il parlera souvent comme d'une prison. Mussolini a pris le pouvoir en octobre 1922, trois ans auparavant, et la tendance italienne est à l'autoritarisme. Il va très vite prendre en grippe ces hommes en soutane qui lui ont attribué un numéro de matricule, le « 38 », pour marquer ses vêtements, ses couverts, ses livres, ses cahiers, sa trousse de toilette. C'est à cette époque que naît ce sentiment de solitude qui ne le quittera plus. Seules joies pour ce garçon qui rêve de musique, il joue du piston dans la fanfare et chante dans la chorale.

En 1934, il passe le baccalauréat avec succès. À l'automne de 1935, il monte à Paris pour suivre des études de droit qui aboutiront en 1939 à l'obtention d'un diplôme de sciences politiques. Il fait son service militaire avant d'être démobilisé en 1940. De retour à Monaco, il occupe un poste de distributeur de bons de ravitaillement aux hôteliers. Il se marie en octobre 1943 avec Odette Schunck, la fille de l'administrateur du théâtre de l'Étoile à Paris. Radio Monte-Carlo l'engage comme homme à tout faire : speaker, bruiteur ou pianiste. Il commence à composer des chansons, les montre à Charles Trenet qui les juge intéressantes[...]

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Pour citer cet article

Alain POULANGES. FERRÉ LÉO (1916-1993) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • AFFICHE ROUGE L'

    • Écrit par Stéphane COURTOIS
    • 2 508 mots
    • 2 médias
    ...souvenir », où il rendait hommage à ces résistants étrangers. Ce poème, inspiré par la lettre d'adieu écrite par Manouchian à sa femme Mélinée, fut mis en musique et rendu populaire par Léo Ferré sous le titre L’Affiche rouge, chanson qui a été interdite sur les ondes françaises jusqu’en 1981.
  • ARRANGEURS DE LA CHANSON FRANÇAISE

    • Écrit par Serge ELHAÏK
    • 7 929 mots
    • 3 médias
    ...soit le nombre de musiciens et de choristes, Jean-Michel Defaye dirige alors de grands orchestres et reste associé à plus d’une centaine de chansons de Léo Ferré dont les mythiques C’est extra et Avec le temps. Maître absolu dans l’utilisation des cordes, mais aussi adepte des arrangements pour trombones,...
  • LAVILLIERS BERNARD (1946- )

    • Écrit par Jean-Dominique BRIERRE, Universalis
    • 1 078 mots
    ...pianiste Monty Alexander. Fidèle à ses origines, il célèbre en 2001 le travail ouvrier dans la chanson « Les Mains d'or », sur l'album Arrêt sur image. En 2009, il rend hommage à celui qui n'a jamais cessé d'être sa référence en matière de poésie et de chanson : Léo Ferré, à qui il consacre tout un album...
  • MURAT JEAN-LOUIS (1952-2023)

    • Écrit par Véronique MORTAIGNE
    • 1 080 mots
    ...Alcaline » d’Alain Bashung. En 2005, il consacre 1829 au chansonnier du xixe siècle Pierre-Jean de Béranger, et referme une série d’hommages par Charles et Léo (2007), son interprétation de poèmes de Baudelaire mis en musique par Léo Ferré. Quelques années plus tôt, en 2001, il avait sollicité...