WEIERSTRASS KARL THEODOR WILHELM (1815-1897)

La longue vie de Weierstrass fut entièrement consacrée à l'analyse mathématique et peu de savants exercèrent sur leur science une influence aussi profonde, durable et bienfaisante. D'abord professeur à l'Institut militaire prussien, Weierstrass passera en 1856 à l'université de Berlin, où il donnera régulièrement deux cours par an, hiver et été, jusqu'en 1890. La rédaction de ces cours par quelques auditeurs permit de publier, de 1902 à 1927, des leçons sur la théorie des transcendantes abéliennes, sur la théorie des fonctions elliptiques, sur les applications de celles-ci, sur le calcul des variations. Beaucoup de ses découvertes ne connurent d'autre publication que ces leçons ou des cours polycopiés.

Le reste de son œuvre comprend une cinquantaine de mémoires et articles originaux, de communications à l'Académie de Berlin (où il fut élu en 1857), le tout échelonné sur un demi-siècle. L'ensemble frappe aujourd'hui par la clarté et la rigueur que Weierstrass apporte à des questions obscures et imprécises pour ses contemporains, et aussi par l'unité de pensée qui y règne. On peut cependant distinguer les travaux sur les fonctions d'une variable complexe, sur les fonctions de plusieurs variables complexes, sur les fonctions de variables réelles et sur le calcul des variations.

Fonctions d'une variable complexe

Dans l'étude des fonctions d'une variable complexe, contrairement à ses prédécesseurs, Weierstrass fait jouer le principal rôle aux développements tayloriens : c'est ce qu'on appelle le point de vue de Weierstrass, où holomorphie est synonyme d'analyticité, tandis qu'au point de vue de Cauchy l'holomorphie est la différentiabilité pour la structure complexe.

Ainsi, c'est à l'aide des développements tayloriens qu'en 1841 il démontre son théorème fondamental d'après lequel une limite de fonctions holomorphes, si elle est uniforme au voisinage de chaque point, fournit encore une fonction holomorphe ; les preuves données aujourd'hui utilisent de préférence intégrale et inégalités de Cauchy.

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Sur ce théorème reposent à peu près tous les procédés usuels de construction de fonctions holomorphes à l'aide de séries, de produits infinis, d'intégrales. Weierstrass lui-même s'en servit d'abord (1842) pour établir la dépendance analytique, vis-à-vis de la donnée initiale, de la solution d'un système différentiel algébrique, puis pour prolonger analytiquement en une fonction entière l'inverse de la fonction eulérienne Γ. En effet, la forme d'Euler :

n'a de sens que pour Re x > 0 ; mais C. F. Gauss l'avait transformée en :
et Weierstrass montra que cette limite est uniforme sur toute partie bornée du plan complexe. En introduisant la constante d'Euler :
(cf. calculs asymptotiques, chap. 2), il aboutit à la forme de Weierstrass de la fonction Γ :
une magnifique généralisation de cette formule lui permit, en 1876, de construire une fonction entière ayant une suite de zéros an arbitrairement donnée, pourvu évidemment que an→ ∞ (cf. fonctions analytiques Fonctions analytiques d'une variable complexe, chap. 8) ; il utilise pour cela les facteurs primaires de Weierstrass :
où les pn sont des entiers naturels convenablement choisis :
pour p ≥ 1.

Ayant construit les produits de Weierstrass :

on voit sans peine que toute fonction entière f (x) se factorise en un tel produit, une puissance entière de x et l'exponentielle d'une autre fonction entière g(x), certains de ces trois éléments pouvant manquer. On vient de voir cette factorisation pour 1/Γ, et celle du sinus est encore plus remarquable :

Weierstrass ouvrait ainsi aux analystes un vaste champ de recherche : celui des relations entre les divers éléments de la factorisation de f et la croissance de f, représentée depuis les travaux d'Émile Borel par son ordre ρ :

en posant :

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En 1896, J. Hadamard montra que, si ρ est fini, g est un polynôme de degré ≤ ρ ; c'est donc une constante si ρ < 1 et, dans ce cas, la factorisation de f se réduit à :

où A est une constante.

Le mémoire de 1876, déjà cité, contient aussi le théorème de Weierstrass relatif aux valeurs prises par une fonction holomorphe au voisinage d'un point singulier essentiel isolé : Si petit que soit le voisinage, l'ensemble des valeurs prises est dense dans le plan. Vu la difficulté de la question, une amélioration du résultat par étapes n'eût pas été surprenante ; mais Émile Picard obtint, d'emblée, dès 1879, le résultat définitif : Si petit que soit le voisinage du point singulier, l'ensemble des valeurs prises en omet une seule au plus.

En revanche, les analystes travaillent toujours, surtout avec plusieurs variables (cf. fonctions analytiques - Fonctions analytiques d'une variable complexe, chap. 7 ; fonctions analytiques - Fonctions analytiques de plusieurs variables complexes), sur la notion de prolongement analytique ainsi définie par Weierstrass : Étant donné la fonction f holomorphe sur un ouvert U du plan et le point a ∈ U, le développement taylorien de f autour de a peut converger sur un disque ouvert D (de centre a) non contenu dans U ; dans ce cas, la somme du développement est f sur la composante connexe contenant a de D ∩ U ; sur le reste de D, et même sur le reste de D ∩ U, c'est un prolongement analytique de f. Mais, si une même suite de fonctions rationnelles converge, uniformément au voisinage de chaque point, vers f sur l'ouvert U et vers g sur l'ouvert V, les fonctions holomorphes f et g ne sont pas en général le prolongement analytique l'une de l'autre ; c'est clair aujourd'hui sur l'exemple de la suite :

qui converge vers + 1 pour |z| < 1, vers − 1 pour |z| > 1 ; c'était si peu clair au xixe siècle qu'un texte mal rédigé de B. Riemann affirmait le contraire, et, en 1880, Weierstrass consacra à cette importante question un mémoire de trente pages.

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