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JURISPRUDENCE

Le mot « jurisprudence » a subi une curieuse évolution. À Rome, il désignait la science du droit, science qui devait être empreinte de sagesse, de « prudence ». Aujourd'hui, en Europe continentale, il s'applique aux règles juridiques que l'on peut dégager des décisions des tribunaux. On parle en ce sens de la jurisprudence qui s'est formée sur tel ou tel article d'un code ou d'une loi.

Il semble que le passage d'une signification à l'autre se soit effectué assez brutalement, en France, à la fin de l'époque révolutionnaire. On avait eu, durant cette période, le sentiment que le droit devait être tout entier écrit dans la loi. On avait donc condamné comme une institution « abominable », « détestable », qui serait contraire à la liberté du citoyen, la « jurisprudence des tribunaux », c'est-à-dire la possibilité pour les juges d'avoir des idées générales, de faire preuve d'une certaine initiative, de ne pas se borner à appliquer à des cas particuliers la « lettre de la loi ». Mais, après quelques années, on en revint à des conceptions plus réalistes. Les rédacteurs du code Napoléon comprirent l'utilité d'une « jurisprudence des tribunaux » et expliquèrent sa fonction. La « jurisprudence » se forma... Mais le mot, d'une conception générale du droit, en vint à désigner le produit de cette conception : les règles qui se dégagent des décisions judiciaires, notamment dans la mesure où elles se distinguent de la lettre de la loi. On remarquera même que la « jurisprudence », au sens continental du terme, se place normalement dans le cadre d'un droit codifié ou au moins législatif : un droit directement judiciaire, comme l'est la common lawanglaise, constitue un phénomène différent, qu'il vaut mieux ne pas désigner du même mot. C'est la « jurisprudence » au nouveau sens du terme qui sera examinée ici. On observera successivement ses fonctions et les conditions de sa formation.

Quant à l'ancienne « jurisprudence », qui a conservé son étiquette traditionnelle en Angleterre, aux États-Unis et dans les autres pays de common law, elle n'est pas autre chose que la science, la théorie ou la philosophie du droit et elle a, comme telle, été étudiée sous cette dernière rubrique.

Fonctions de la jurisprudence

Il semble que, dégagés des idées excessives de la période révolutionnaire, les rédacteurs du code Napoléon, et en particulier J. M. Portalis, aient été les premiers à voir quelles fonctions aurait la jurisprudence des tribunaux dans le cadre d'un droit codifié.

« On ne peut pas plus se passer de la jurisprudence que de lois, écrit Portalis. L'office de la loi est de fixer par de grandes vues les maximes générales du droit, d'établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. C'est aux magistrats et aux juristes, pénétrés de l'esprit général des lois, à en diriger l'application... Il y a une science pour les législateurs comme il y en a une pour les magistrats ; et l'une ne ressemble pas à l'autre. La science du législateur consiste à trouver dans chaque matière les principes les plus favorables au droit commun ; la science du magistrat est de mettre ces principes en action, de les ramifier, de les étendre par une application sage et raisonnée aux hypothèses prévues. »

Ce remarquable exposé assigne à la jurisprudence une triple fonction :

a) Non seulement appliquer les règles légales, mais préciser leur portée dans les multiples circonstances qui se présentent en pratique ; le législateur doit rester à un certain degré de généralité pour ne pas faire une œuvre trop lourde et qui pourtant ne régirait pas l'infinie variété des cas ; c'est donc le juge qui doit être le législateur[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-I

Classification

Pour citer cet article

André TUNC. JURISPRUDENCE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

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