Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

JURISPRUDENCE

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Conditions de formation

Les décisions et leur valeur

Il n'est de jurisprudence que dans la mesure où les décisions des tribunaux forment un corps de règles.

Cela suppose, en premier lieu, que les décisions rendues aient une certaine valeur de principe. Toute décision, en effet, est en soi une décision d'espèce. Les tribunaux, par exemple, ne se voient pas poser la question théorique de savoir si un étranger peut être tuteur, mais seulement celle de savoir si M. X, qui est étranger, peut être tuteur du mineur Y. Théoriquement, on concevrait que la décision pût être prise en considération de la nationalité de M. X ou de son attachement à la nation du mineur Y. Mais il est exceptionnel que le juge ne prenne pas plus de responsabilité. Normalement, il décidera si M. X, en tant qu'étranger, peut ou non être tuteur. Par là même, et au-delà de la diversité des théories et des principes sur l'autorité du « précédent judiciaire », il aura posé une règle jurisprudentielle sur la possibilité pour un étranger d'être tuteur. Quand bien même refuserait-il de se prononcer en principe, il serait du moins conduit à déclarer que le problème doit être résolu selon les circonstances, ce qui serait là encore une règle jurisprudentielle, dont la mise en œuvre donnerait lieu à des règles plus détaillées.

On comprend également que la formation d'une jurisprudence exige, à la tête du système judiciaire, une cour suprême bénéficiant d'une autorité hiérarchique. Car sans organe centralisateur, la jurisprudence ne pourrait être que locale. Il importe peu que l'autorité d'une juridiction suprême soit de droit ou de fait. Alors qu'en Angleterre les règles posées par les plus hautes juridictions s'imposent aux juridictions inférieures, en France le juge le plus modeste peut en principe statuer selon sa conscience. Il n'importe : en pratique, sauf difficulté exceptionnelle et temporaire sur un problème particulièrement délicat, tous les tribunaux s'inclineront devant l'autorité de la Cour de cassation.

L'existence d'une jurisprudence suppose encore que les tribunaux, et notamment la juridiction qui est au sommet de la hiérarchie judiciaire, respectent les règles qu'ils ont eux-mêmes déclarées en tranchant les litiges. Mais ce respect est naturel, même si, là encore, sa force juridique varie selon les pays et selon les temps. Quelle figure ferait le juge qui dirait blanc un jour et noir le lendemain ? Que le juge soit juridiquement lié par ce qui a été déclaré (il ne peut alors faire évoluer le droit que grâce à des distinctions) ou qu'il puisse reconnaître ses erreurs ou l'inadaptation aux temps modernes des principes qu'il avait posés (on dit alors qu'il renverse sa jurisprudence), en toute hypothèse, une jurisprudence peut se former.

Encore faut-il que les décisions rendues forment un ensemble cohérent. Poser des règles logiquement compatibles ne s'impose pas moins au juge qu'au législateur. Sans cette cohésion logique, l'induction devient hasardeuse, les problèmes de qualification et de frontière sont constants et ils ajoutent incessamment à la complexité du droit au lieu de concourir à sa précision.

Modalités du jugement

Deux problèmes se posent encore, dont la solution peut avoir une grande importance sur la possibilité que s'élabore une jurisprudence de qualité.

Le premier est celui de l'obligation pour la Cour suprême d'une nation de statuer sur toutes les espèces qui lui sont soumises, ou de la possibilité pour elle de choisir les litiges qui lui semblent mériter son attention. Les Cours de cassation française et italienne, d'une part, et la Cour suprême des États-Unis, d'autre part, semblent typiques de systèmes opposés, cependant que des règles intermédiaires s'appliquent à la Cour suprême de la République fédérale d'Allemagne.[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-I

Classification

Pour citer cet article

André TUNC. JURISPRUDENCE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • ADMINISTRATION - Le droit administratif

    • Écrit par
    • 11 861 mots
    • 1 média
    L'originalité du droit administratif s'affirme d'abord dans ses sources. On l'a vu, c'est la jurisprudence qui est ici prédominante. Le trait peut surprendre, dans un pays où le prestige de la règle écrite domine l'ensemble des disciplines juridiques, du fait notamment des grandes codifications napoléoniennes....
  • BLASPHÈME

    • Écrit par
    • 7 019 mots
    • 5 médias
    ...s’inscrivait dans le prolongement des précédents « Otto-Preminger-Institut » et « Wingrove », mais suggéraient qu’il était « temps de “revisiter” cette jurisprudence, qui nous semble faire la part trop belle au conformisme ou à la pensée unique, et traduire une conception frileuse et timorée de la liberté...
  • CANONIQUE DROIT

    • Écrit par
    • 8 003 mots
    ...derniers, qu'il n'y ait pas contradiction avec les principes constitutifs de l'ordonnancement canonique. L'interprétation peut aussi s'appuyer sur la jurisprudence des tribunaux (rote romaine en matières contentieuse et matrimoniale et signature apostolique en matière contentieuse administrative) lorsque...
  • CASSATION COUR DE

    • Écrit par et
    • 2 942 mots

    La Cour de cassation est, dans l'ordre judiciaire, la plus haute juridiction française. Très différente des cours d'appel et des tribunaux, elle l'est également des cours suprêmes étrangères. Son rôle essentiel n'est pas de juger à nouveau les litiges, comme le fait une juridiction d'appel, mais...

  • Afficher les 23 références