LILBURNE JOHN (1614-1657)
Chef le plus célèbre du mouvement des niveleurs au temps de la révolution anglaise, John Lilburne sut allier l'action militante la plus déterminée à la réflexion idéologique la plus poussée (il est l'auteur d'une centaine de brochures au moins). Sa célébrité première se rattache à son combat contre l'intolérance de Charles Ier et de l'archevêque William Laud, qu'il paya, à partir de 1637, d'une incarcération prolongée après exposition au pilori.
Libéré par le Long Parlement, John Lilburne s'engage avec rage dans la lutte contre le roi, mais aussi s'insurge contre toute captation de l'héritage révolutionnaire par les seuls notables ou, dans le domaine religieux, par les presbytériens qui auraient substitué à l'intolérance de l'Église anglicane celle de leur propre Église. Un temps lié à Cromwell et lieutenant-colonel de son armée, il rompt avec lui en 1645 et connaît à partir de ce moment la vie d'un agitateur révolutionnaire, souvent emprisonné. Il profite de ces loisirs forcés pour rédiger des brûlots politiques, parfois fort longs, et qui répandent les idées démocratiques, en particulier dans le peuple de Londres et dans l'armée.
En octobre 1645, celui que l'on surnomme « Jean-né-libre » par un jeu de mots sur son patronyme (Free-born John), ou encore l'« agitateur en chef » en un temps où les « agitateurs » sont les porte-parole élus de l'armée, publie un texte de quarante-huit pages intitulé England's Birthright Justified (Justification du droit imprescriptible de l'Angleterre) : condamnant les excès qu'il décrit, il revendique une justice égale pour tous et rendue en anglais, la fin de tout monopole économique et religieux et, surtout, l'élection annuelle d'un Parlement au suffrage universel et l'indemnité parlementaire. Il affine sa philosophie politique dans des textes ultérieurs de 1646 et 1648, dont Freeman's Freedom Vindicated (La Défense de la liberté de l'homme), London's Liberty in Chains Discovered (Révélation de la liberté de Londres dans les chaînes), Regall Tyranny Discovered (La Tyrannie royale dévoilée) et aussi dans ce qu'il apporte à la rédaction collective de trois moutures successives de la charte des revendications démocratiques des niveleurs, l'Agreement of the People (Accord du peuple). Les sources de Lilburne sont évidentes : il se réfère à la Bible et compense sa croyance dans le péché originel par l'exposé de droits qui, de naissance, ont été donnés à tous les hommes pour travailler au retour de Dieu sur cette terre ; calviniste convaincu, il n'omet jamais la dimension métaphysique du combat politique. Il a connu aussi, au moins dans leur traduction anglaise, les écrits des huguenots français des guerres de religion, Duplessis-Mornay et François Hotman : il en retient les idées d'un contrat originel et du droit à la révolte contre les tyrans, que le monde de la Réforme a, au xve siècle, substitués au loyalisme héroïque d'abord prôné par Calvin. À une époque où le courant rationaliste commence à l'emporter, il est convaincu des possibilités de la raison humaine, sans l'opposer à un christianisme qui devrait la restaurer « en sa perfection, sa beauté, sa splendeur, sa gloire première ».
Homme de synthèse, il apparaît donc comme le précurseur de courants idéologiques majeurs, de la démocratie chrétienne à la philosophie des Lumières. La conviction qui l'emporte en lui demeure celle de la pleine égalité des droits entre les pauvres et les riches. Elle lui vaut le soupçon d'être un révolutionnaire social et une menace pour la propriété. Il demeure inébranlable dans la certitude qu'il exprime que « le plus pauvre ici-bas a autant le droit de voter que le plus riche et le plus grand ».
Fort de ses certitudes, il refusa systématiquement de composer avec Cromwell, un moment très inquiet de sa popularité au sein de l'armée. Affirmant que sa faiblesse de prisonnier est une force, il s'enfonce dans un militantisme mystique qui lui vaut d'ailleurs de suprêmes satisfactions : traduit devant un tribunal en octobre 1649, son extraordinaire procès de trois jours est l'occasion pour lui d'exposer ses idées publiquement, de rameuter ses partisans, d'user avec habileté de toutes les armes du droit et de narguer Cromwell qui tente par des démonstrations de troupes de faire pression sur la cour. Il est finalement acquitté par le jury, mais n'est libéré qu'en 1652 pour être aussitôt banni.
Sa vie, malgré un retour en 1653 et un ultime procès également gagné, prend ensuite un tour plus singulier. Découragé par ses échecs et attristé par la mainmise de Cromwell sur la République, il se détourne vers le militantisme religieux. En exil à Jersey jusqu'en 1655, il est gagné par le message de George Fox et adhère à la secte des quakers : celle-ci est alors surtout caractérisée par la négation de toute autorité spirituelle, la volonté de perturber les autres cultes, la recherche de la lumière divine dans l'extase. À sa mort en 1657, à Eltham, dans le Kent, il ne représente plus de danger pour le pouvoir en place. Le fantôme de Lilburne surgit inopinément au début de la Restauration quand des niveleurs attardés s'essayent à une vaine révolte. Son nom est ensuite la victime d'une sorte de conspiration du silence et ses revendications triomphent au cours des siècles suivants sous des signatures nouvelles.
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Écrit par
- Roland MARX : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Autres références
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NIVELEURS ou LEVELLERS
- Écrit par Roland MARX
- 974 mots
L'appellation de niveleurs (en anglais levellers) a été réservée, à partir de 1645, à ceux des révolutionnaires anglais qui, non contents de vouloir éliminer la monarchie encore incarnée par Charles Ier, souhaitaient lui substituer une république où le peuple composé de tous...
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ROYAUME-UNI - Histoire
- Écrit par Encyclopædia Universalis , Bertrand LEMONNIER et Roland MARX
- 43 840 mots
- 66 médias
...révolutionnaires se développent, en particulier à Londres et dans l'armée (où existent des conseils élus) : les « niveleurs », sous la direction de John Lilburne, songent à une véritable démocratie, sans convaincre, au cours des débats décisifs de Putney, en novembre 1647, les généraux Fairfax, Cromwell... -
WALWYN WILLIAM (1600 env.-apr. 1651)
- Écrit par François BURDEAU
- 214 mots
Pamphlétaire anglais né dans le Worcestershire. Sympathisant de la secte des anabaptistes, William Walwyn partage leur croyance en l'égalité de tous les hommes, leur attachement à la tolérance, leur horreur de la violence et de l'autorité spirituelle. Dans une série de pamphlets, dont plusieurs...
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