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OCKEGHEM JOHANNES (1410 env.-1497)

Le meilleur Ockeghem

La musique religieuse occupe chez Ockeghem la place essentielle : c'est dans ce domaine qu'il donne le meilleur de lui-même. Là, s'épanouit avec le plus de liberté son mysticisme, qui dénote une vie intérieure profonde, une passion chaleureuse, traduites, par exemple, par une mélodie qui sait s'épancher en effusions « irrationnelles » et neuves (chute d'une octave sur et mortuos dans la Missa quinti toni). Une telle expressivité s'allie à un sens profond de l'équilibre et de la grandeur qui assure ce qu'on pourrait appeler son classicisme. En outre, par la riche couleur de son harmonie, il émeut toujours l'auditeur contemporain. L'accentuation des voix graves dans l'interprétation des œuvres de cette époque, l'inclusion d'instruments à vent aussi affirmés que la chalémie ou le trombone permettent de faire revivre la texture musicale étonnante de cette littérature contrapuntique. C'est avec Ockeghem, ensuite avec Jacob Obrecht et Josquin Des Prés, que la messe acquiert en musique une forme cohérente et structurée. Ockeghem est certainement le premier à avoir utilisé le ténor d'une chanson comme cantus firmus d'une messe ; il sait en exploiter toutes les possibilités : citation textuelle au ténor (messe L'Homme armé par exemple) ou à toutes les parties (messe Fors seulement). Il n'est esclave d'aucun système et cultive avec bonheur une écriture très variée. « Comment le compositeur, malgré une technique motivique extrêmement ramifiée, une liberté et une indépendance absolue dans la conduite des voix, dans la rythmique et l'agogique, et en l'absence de tout élément thématique de synthèse, parvient à donner cependant une sensation de parfaite unité, c'est là un miracle auquel seule une analyse détaillée serait susceptible de rendre justice » (Harry Halbreich, à propos de la messe L'Homme armé). La Missa Prolationum est écrite sur l'imitation canonique : quatre voix, deux à deux, chantent deux canons différents. La Missa cujus vis toni révèle un exploit incroyable de ce virtuose, dont le génie combinatoire ne peut être comparé qu'à celui de Jean-Sébastien Bach : l'œuvre ne possède pas de clés ; il suffit de choisir les clés appropriées pour la chanter dans chacun des tons ecclésiastiques d'alors. Ockeghem s'avère ainsi l'un des précurseurs lointains des techniques aléatoires d'aujourd'hui. La Missa mi-mi ou Quarti toni tire son nom de la quinte mi-la (mi-mi en solmisation guidonienne), par laquelle débute chaque partie ; elle ne possède pas de cantus firmus, mais se trouve composée « librement », ce qui constitue une innovation audacieuse pour l'époque ; il faut noter dans cette messe le duo d'une haute inspiration expressive sur Crucifixus. Les messes Sine nomine et Quinti toni comportent un incipit pour chacune des pièces de l'ordinaire. Dans l'ensemble de ces pages, « les voix cheminent généralement côte à côte, en relation fort libre, tantôt l'une, tantôt l'autre suscitant l'impulsion créatrice du mouvement d'ensemble. De temps à autre, une ligne unique, abondamment ramifiée, d'une ferveur intense, apparaît au premier plan ou, au contraire, toutes les voix se rassemblent pour une paisible déclamation en accords » (H. Besseler).

Dans les motets, notamment ceux à la Vierge (Alma Redemptoris Mater, les deux Salve Regina, Ave Maria, Intemerata et Gaude Maria), le traitement du plain-chant (par exemple la paraphrase mélismatique) est fort ingénieux et expressif. Souvent Ockeghem divise les parties en fin de pièce pour ajouter à l'éclat harmonique de la dernière cadence ; il sait s'affranchir de la contrainte de la mesure ; il diversifie avec bonheur les suites rythmiques élémentaires, obéissant en cela aux[...]

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Écrit par

  • : psychanalyste, membre de la Société de psychanalyse freudienne, musicologue, président de l'Association française de défense de l'orgue ancien

Classification

Pour citer cet article

Pierre-Paul LACAS. OCKEGHEM JOHANNES (1410 env.-1497) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CONTREPOINT

    • Écrit par Henry BARRAUD
    • 4 643 mots
    Dufay et surtout Ockeghem en arrivent à échafauder des canons d'une rigueur inhumaine où le nombre de voix ne cesse d'augmenter, allant même jusqu'à trente-six voix dans un motet célèbre. Combinaisons savantes, jeux de mandarin valables pour le papier plus que pour l'oreille, car c'est une vérité d'expérience...

Voir aussi