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LYOTARD JEAN-FRANÇOIS (1924-1998)

Penseur qui avait au plus haut point le sens du politique, esprit profondément critique, sensible à l'événement sous toutes ses formes, à la fois engagé et averti des ornières de l'engagement, Jean-François Lyotard incarne une des grandes figures de la philosophie française de la seconde moitié du xxe siècle, dans ce mouvement de pensée qui fit suite à la phénoménologie, se défia des emblèmes de la philosophie et de toute allégation quant à une possible résolution de l'Histoire. Son œuvre considérable ne se laisse pas prendre aux filets du système : « Ce qui menace le travail de penser (ou d'écrire) n'est pas qu'il reste épisodique, c'est qu'il feigne d'être complet », écrivait-il.

Après avoir fréquenté la Sorbonne de l'immédiat après-guerre, Jean-François Lyotard part enseigner la philosophie en 1952 au lycée de Constantine, où il fait l'expérience du colonialisme ainsi que du caractère d'emblée contradictoire de la guerre de libération algérienne, de sa totale légitimité et de ses impasses. Il rencontre l'historien Pierre Souyri et entre à Socialisme ou barbarie où, avec Claude Lefort et Cornelius Castoriadis, il participe à la critique du totalitarisme.

Après s’être inscrit dans le sillage de la phénoménologie de Merleau-Ponty, il s'en éloigne et écrit Discours, figure (1971), qui marque un écart irréductible entre le dire et le voir. Vient Mai-68 et l'époque de confluence à l'université de Vincennes avec le mouvement philosophique contemporain conduisant à la remise en cause du Sujet, dans le partage avec Deleuze, Foucault, Lacan, à l’interrogation sur les institutions et à l'invention de formes nouvelles d'inscription de ce qui leur échappe. Dérive à partir de Marx et Freud (1972) et Économie libidinale (1974) témoignent du détachement à l'égard du théoricisme et d'une pensée de l'énergétique du désir.

Avec les années 1980, marquées par l’apparition de nouvelles philosophies du langage, Lyotard, à partir d’une relecture du Kant de la Critique du jugement, invente un nouveau criticisme et découvre ce qui sera la catégorie de sa pensée : le Différend (1983). Il souligne ce qu’il y a d'impartageable entre les parties prenantes des différents rapports, – social comme affectif – et le tort irréparable qui est commis lorsque le conflit qui les oppose se fait dans l'idiome d'une des parties. Il est d'une victime de ne pas pouvoir prouver qu'elle a subi un tort et du plaignant de trouver sa phrase. L'enjeu de la pensée est aussi bien d’inventer les négociations convenables que de témoigner de ce qui ne peut être dépassé ni tranché. Sa pensée le conduit à une reprise de la réflexion sur le sublime (Leçons sur l'analytique du sublime, 1991).

Lyotard prend acte de la faillite des grands récits de l'émancipation, et à partir de la béance d'Auschwitz, de la course sans fin du développement ainsi que de l'idolâtrie du consensus. Reprenant à son compte le terme de postmodernité, il dresse le constat de l'étrangeté de notre temps dans la Condition postmoderne (1979), en manifeste le sens dans l'exposition sur les Immatériaux présentée au centre Beaubourg (1985), et, dans les Moralités postmodernes (1993), élabore les formes de répondant qui sont celles de l'expérimentation lorsque celle-ci est de l'ordre de l'anamnèse et se joue dans une oscillation constante entre apparition et disparition. (Que peindre ?, 1987).

Jean-François Lyotard prend acte des formes nouvelles de différend, qui ne se fait plus entendre dans les luttes sociales et politiques, mais demeure dans le domaine de l’esthétique qui sait témoigner de ce qui ne trouve pas à se dire. Dans les dernières années, avec Signé Malraux (1996) et La Confession d'Augustin[...]

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, docteur d'État ès philosophie, enseignant

Classification

Pour citer cet article

Gérald SFEZ. LYOTARD JEAN-FRANÇOIS (1924-1998) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ADAMI VALERIO (1935- )

    • Écrit par Alain JOUFFROY
    • 858 mots

    Peintre italien, né en 1935 à Bologne, installé à Paris en 1970, Adami a entretenu dès ses débuts des rapports étroits avec les écrivains et les artistes de l'avant-garde internationale parisienne. Élève de l'académie Brera de Milan, il expose dès 1957 ses premiers tableaux, influencés...

  • ANTHROPOLOGIE

    • Écrit par Élisabeth COPET-ROUGIER, Christian GHASARIAN
    • 16 158 mots
    • 1 média
    Pour des auteurs commeJean-François Lyotard, la « condition postmoderne » est caractérisée par une désillusion envers le monde occidental et une incrédulité accrue envers les « grands récits » explicatifs, c'est-à-dire les théories totalisantes et les politiques révolutionnaires du passé. Affirmer...
  • SUBLIME

    • Écrit par Philippe LACOUE-LABARTHE
    • 6 156 mots
    • 3 médias
    2. Dans les analyses qu'il a produites du sublime,J. F. Lyotard (1988) fait remarquer que la terreur (ou l'horreur), telle que Burke la thématise, est liée à la privation : « Privation de la lumière, terreur des ténèbres ; privation d'autrui, terreur de la solitude ; privation du langage, terreur...
  • MACHIAVEL (1469-1527)

    • Écrit par Jean-François DUVERNOY
    • 6 701 mots
    • 1 média
    Jean-François Lyotard l'exprime d'une façon équivalente, dans Au juste : « Si on me demande quels sont les critères de mon jugement, je n'aurai évidemment pas de réponse à donner. Car si j'avais des critères de jugement [...] cela voudrait dire qu'il y a effectivement un ...
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Voir aussi