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BOLLACK JEAN (1923-2012)

L'art de lire

À partir des années 1980, Jean Bollack consacre une part importante de son activité à la tragédie antique avec des commentaires de l'Agamemnon d'Eschyle (avec Pierre Judet de La Combe, 3 vol., 1981), le monumental commentaire d'Œdipe roi (L'Œdipe roi de Sophocle, 4 vol., 1990), des interprétations (La Naissance d'Œdipe, 1995 ; La Mort d'Antigone. La tragédie de Créon, 1999 ; Dionysos et la tragédie, 2005) et de nombreuses traductions de pièces pour le théâtre réalisées avec sa femme Mayotte, occasion d'échanges avec les metteurs en scène comme Alain Milianti (Lille, 1985), Ariane Mnouchkine (Les Atrides à la Cartoucherie, 1990), Jacques Lassalle (Andromaque à Avignon, 1994) ou Camilla Saraceni (Hélène, 1998), dont l'aboutissement provisoire est l'expérience de la mise en scène avec Mathieu Bozonnet (Antigone, 1999). La pratique philologique rejoint ainsi d'elle-même son enjeu esthétique et surtout son actualité, en allant à la rencontre d'un public.

L'intérêt pour les réalisations de la modernité n'a cessé d'accompagner le travail philologique sur les anciens : en prenant pour objet d'étude la poésie de Paul Celan (Pierre de cœur, 1991 ; Poésie contre poésie. Celan et la littérature, 2001), Jean Bollack montre que la philologie est avant tout un art de lire, et que l'expérience de lecture des textes difficiles, fragmentaires ou chiffrés, renvoie à des principes herméneutiques communs. L'attention prêtée à la référence – culturelle ou anecdotique – et à sa transposition fait accomplir de grands progrès à la compréhension de cette poésie obscure. Le vaste effort de lecture de ces textes difficiles débouche sur la publication de plusieurs livres, en particulier d'une poétique, somme de réflexions glanées au cours du travail interprétatif (L'Écrit, 2000) et d'un recueil d'entretiens (Sens contre sens, 2000).

L'effort pour la compréhension des œuvres, constante dans la philologie mise en œuvre par Jean Bollack, est en effet ce qui lui donne son caractère singulier dans le paysage intellectuel contemporain. La convergence de ces intérêts est manifeste dans le recueil La Grèce de personne (1997) qui regroupe une réflexion herméneutique, des interprétations de textes anciens ou modernes, philosophiques ou poétiques, ainsi que des études d'histoire de la philologie. Dans ce dernier domaine, le portrait de Bernays (Jacob Bernays. Un homme entre deux mondes, 1998) fait figure d'hommage à un grand ancêtre.

La science de Jean Bollack se veut à la fois critique et herméneutique : critique, en tant qu'elle engage un jugement, qu'elle analyse les jugements portés sur les œuvres (c'est l'histoire des interprétations et donc aussi des mécompréhensions, solidaires de la compréhension) et qu'elle saisit dans les textes le jugement qu'ils portent sur les réalisations antérieures ; herméneutique, en tant que l'intelligence de l'œuvre ne présuppose rien d'autre que sa lecture, le respect de son unicité et des règles de lecture comme des canons esthétiques que l'art se donne à lui-même. En retrouvant la puissance critique et innovatrice des œuvres passées ou contemporaines, sans jamais négliger les conditionnements culturels et sociaux qui les déterminent, Jean Bollack conçoit la philologie selon une haute exigence intellectuelle et esthétique. Par ses livres, il montre la fécondité d'une technique retrouvée, concentrée sur sa tâche essentielle : apprendre à lire.

— Denis THOUARD

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, directeur de recherche au C.N.R.S., centre Marc-Bloch, Berlin

Classification

Pour citer cet article

Denis THOUARD. BOLLACK JEAN (1923-2012) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • LA GRÈCE DE PERSONNE (J. Bollack)

    • Écrit par Denis THOUARD
    • 1 358 mots

    En réunissant des études écrites sur près de quarante années (1958-1997), Jean Bollack fait la démonstration des possibilités de la philologie, au sens fort qu'il lui donne. Il réfléchit en même temps au chemin parcouru et à l'itinéraire intellectuel qui l'a permis : les essais qui composent...

  • CASSIN BARBARA (1947- )

    • Écrit par Jean-Baptiste GOURINAT
    • 995 mots
    • 1 média
    À l’université Lille-III, Barbara Cassin est formée à la philosophie grecque et à la philologie par Jean Bollack, sous la direction de qui elle rédige une thèse qui sera publiée sous le titre Si Parménide. (1980)

Voir aussi