INGRES JEAN AUGUSTE DOMINIQUE (1780-1867)
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Proclamé l'émule, l'égal de Raphaël, celui qui fut, selon Castagnary, « le messie du classicisme », apparaît malgré lui comme l'un des initiateurs du romantisme et du réalisme en France. Déjà, en 1855, Baudelaire remarquait dans son compte rendu de l'Exposition universelle : « Aux gens du monde, M. Ingres s'imposait par un emphatique amour de l'Antiquité et de la tradition. Aux excentriques, aux blasés, à mille esprits délicats toujours en quête de nouveautés, même de nouveautés amères, il plaisait par la bizarrerie. » Qualifié de « Chinois égaré dans les rues d'Athènes » par Théophile Silvestre, Ingres fut un moment méprisé par les admirateurs de David, tels Kératry, Landon ou Jal, qui voyaient en lui un « gothique » et un « maniéré » et défendu par les romantiques, Achille Devéria ou Decamps. Mais, quelques années plus tard, il était en butte aux sarcasmes de Champfleury et des frères Goncourt, défenseurs de la nouvelle école. E. Chesneau voyait en lui le fondateur de l'académisme, et P. Mantz jugeait qu'il exerçait sur l'art contemporain une « influence fatale ». Cependant Thoré le reconnaissait, en 1842, comme « l'un des premiers maîtres de ces temps-ci », et Théophile Gautier ne devait pas cesser de le défendre. Au début du xxe siècle, Maurice Denis rappelait son influence sur le symbolisme et l'Art nouveau. Depuis, les historiens d'art ont pu apprécier son rôle dans l'évolution de l'art moderne.
La carrière d'un prix de Rome
Jean Auguste Dominique Ingres naquit à Montauban. Il reçut de son père, le décorateur Jean Marie Joseph Ingres (1755-1814), ses premières leçons de peinture, avant d'entrer très jeune, en 1791, à l'académie de Toulouse où il eut pour maîtres G. J. Roques (1756-1847), J. Briant (1760-1799) et le sculpteur J. P. Vigan ( ? - 1829). Élève de David à Paris, à partir de 1797, il devait remporter, en 1800, un second Grand Prix de peinture, et l'année suivante, en 1801, le premier Grand Prix avec le sujet : Les Ambassadeurs d'Agamemnon et des principaux de l'armée des Grecs, précédés des hérauts, arrivent dans la tente d'Achille pour le prier de combattre (Paris, École des beaux-arts). En attendant son départ pour la Villa Médicis, Ingres peint les portraits de La Famille Rivière (Louvre) et de La Belle Zélie (musée de Rouen). Son Bonaparte, premier consul (musée de Liège) est une réussite qui éclipse le portrait peint à la même époque par Greuze (musée de Versailles), et il reçoit la commande du Portrait de l'Empereur (Paris, musée de l'Armée) pour la Chambre des députés.
Envoyé comme pensionnaire à la Villa Médicis de 1806 à 1811, il fait parvenir en France les travaux obligatoires que réclame l'Académie : Œdipe et le Sphinx (1808, musée du Louvre), la Baigneuse dite « de Valpinçon »(1808, musée du Louvre), Jupiter et Thétis (1811, musée d'Aix-en-Provence) sévèrement jugés par la classe des Beaux-Arts de l'Institut qui y voit, non sans raison, une transposition trop originale des leçons de David. Ingres décide alors, après son pensionnat, de rester à Rome, et, pour vivre, il se voit obligé d'exécuter de multiples commandes de portraits, peints (Madame de Senones, 1816, musée de Nantes) ou dessinés (Madame Destouches, 1816, musée du Louvre). Il peint cependant, en 1812, pour le palais impérial de Monte Cavallo, au Quirinal, Romulus vainqueur d'Acron (musée du Louvre) et Le Songe d'Ossian (musée de Montauban), et pour la villa Aldobrandini Virgile lisant l'Énéide devant Auguste (musée de Toulouse). Mais les nombreux tableaux qu'il envoie à Paris – quelques-uns parmi ses meilleurs : Raphaël et la Fornarina (env. 1814, Fogg Art Museum, Cambridge, Mass.), La Grande Odalisque(1814, musée du Louvre), Henri IV jouant avec ses enfants (1817, Petit Palais, Paris), La Mort de Léonard de Vinci(1817, Petit Palais, Paris), Roger délivrant Angélique (1819, musée du Louvre) – reçoivent un accueil toujours réservé de la critique. En 1820, il s'installe à Florence, après avoir achevé, pour la Trinità dei Monti, Jésus remettant les clefs du paradis à saint Pierre (musée de Montauban). Il peint le Portrait du comte Gouriev (1821, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg), et le gouvernement français lui commande Le Vœu de Louis XIII, destiné à la cathédrale de Montauban. Le tableau, envoyé au Salon de 1824, connaît un succès extraordinaire. Enfin triomphant, Ingres est élu à l'Institut comme successeur de Vivant Denon. Désormais célèbre, il fonde un atelier et, le 30 décembre 1829, est nommé professeur à l'École des beaux-arts. Il peint de nombreux portraits dont celui de Monsieur Bertin (musée du Louvre), et les commandes officielles affluent. On citera parmi celles-ci la décoration d'un des plafonds du Louvre, pour laquelle il choisit de représenter l'Apothéose d'Homère. En même temps, il songe à une grande composition à laquelle il travailla sept ans, Le Martyre de saint Symphorien (cathédrale d'Autun) ; mais, présentée au Salon de 1834, cette œuvre fut curieusement l'objet de jugements hostiles. Déçu, Ingres accepte le poste de directeur de la Villa Médicis, qu'il occupe de 1835 à 1841, et se consacre à l'enseignement. Il a pour élèves d'anciens disciples qui avaient obtenu le Grand Prix de Rome, tels H. Flandrin ou R. Balze.
Durant ces années, il se consacre surtout au dessin, comme en témoignent les portraits de ses amis, Liszt, Gounod ou Paganini. Mais une œuvre, La Maladie d'Antiochus (1840, musée de Chantilly), l'occupe, l'obsède même, si l'on en croit les lettres à son ami Gatteaux ou le témoignage de son élève Henri Lehmann, à qui il laisse le soin de terminer une deuxième version de Cherubini et la Muse.
Son directorat terminé, Ingres revient à Paris en 1841. Il est le protégé du duc d'Orléans dont il fait le portrait (collection de Mgr le comte de Paris) et, après la mort accidentelle de son protecteur en 1842, il reçoit la commande des vitraux de la chapelle commémorative Notre-Dame-de-la-Compassion à Paris, et dessine dix-sept cartons représentant les Vertus et les saints patrons de la famille royale. Pour la chapelle Saint-Louis de Dreux, autre propriété de la famille d'Orléans, il compose, en 1844, huit nouveaux cartons. En 1839, le duc de Luynes lui avait demandé de peindre les fresques du château de Dampierre ; c'est seulement en 1842 qu'il se met au travail, choisissant de représenter L'Âge d'or et L'Âge de fer. Mais, en 1848, il devait abandonner la décoration commencée : L'Âge d'or restait inachevé, L'Âge de fer à peine ébauché.
C'est peut-être lorsqu'il exprime par le dessin l'essentiel de la composition qu'Ingres réussit le mieux. C'est pourquoi les dernières toiles, la Vénus Anadyomène (1848, musée de Chantilly), La Vierge à l'hostie (1854, musée d'Orsay), Le Bain turc (1862, musée du Louvre) apparaissent comme les œuvres modèles du peintre. La beauté du jeu compliqué des gestes et des lignes est plus apparente encore dans un tableau demeuré à l'état d'ébauche, Jésus au milieu des docteurs (1862, musée de Montauban).
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Écrit par
- Jean LACAMBRE : chargé de mission auprès du directeur des Musées de France
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