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LECOQ JACQUES (1921-1999)

Avec Meyerhold, Copeau, Decroux, Jacques Lecoq est l'un des grands découvreurs, au xxe siècle, des capacités créatrices du corps humain. Au commencement du théâtre, il a toujours placé l'observation du monde et de son mouvement, dans une défiance absolue, cependant, de toute exagération mimétique à l'approche des êtres, des choses et des événements : imiter, pour lui, n'est rien d'autre qu'une étape provisoire dans l'appropriation du jeu, qui prend ses premières marques dans le redoublement du réel, saisi dans ses apparences. À partir de cet apprentissage initial, qu'il nomme le « rejeu », Lecoq conduit ses élèves à l'observation de la nature et à la découverte des matériaux de base du langage poétique. À partir de là s'est déployée l'une des pédagogies théâtrales les plus originales et les plus stimulantes, mise au service, pendant quarante-trois ans, de plus de cinq mille élèves venus du monde entier, comédiens, metteurs en scène, auteurs, et qui s'en sont retournés pour créer leur œuvre et souvent pour transmettre à leur tour la pensée de celui qui fut leur maître.

Né le 15 décembre 1921 à Paris, Jacques Lecoq reçoit d'abord une sérieuse formation sportive, qui le mène de l'éducation physique et de la pratique de l'athlétisme et de la natation à l'exercice de la kinésithérapie. C'est avec ce solide bagage qu'il se rapproche au début des années 1940 de Jean-Marie Conty, fondateur de l'E.P.J.D. (Éducation par le jeu dramatique), ami d'Antonin Artaud et de Jean-Louis Barrault, promoteur d'une formation de l'acteur largement fondée sur le développement de ses ressources corporelles. Mais c'est sa rencontre avec Jean Dasté à Grenoble, au lendemain de la guerre, qui va entraîner décisivement Jacques Lecoq vers le théâtre, à partir de la découverte du masque et de l'improvisation. D'emblée, il se place ainsi dans la mouvance de Jacques Copeau, qu'il ne reniera jamais.

Seconde expérience fondatrice : le séjour de Jacques Lecoq en Italie, de 1948 à 1956. Avec Giorgio Strehler, autre admirateur affirmé de Copeau, il prend part à la fondation de l'école du Piccolo Teatro de Milan, incite Amleto Sartori à fabriquer des masques pour les jeunes acteurs qui sont en train de redécouvrir les personnages et les histoires de la commedia dell'arte, travaille avec Dario Fo et plusieurs autres acteurs italiens, de Franco Parenti à Anna Magnani : il développe ainsi, chemin faisant, sa réflexion sur le chœur tragique, sur le burlesque et sur les multiples déclinaisons du jeu masqué. En 1956, il rentre définitivement à Paris pour fonder une école de théâtre qu'il veut d'emblée internationale et qui rencontre un tel succès qu'il pourra fêter en 1996 son quarantième anniversaire, au milieu de dizaines et de dizaines d'élèves accourus des cinq continents.

La pédagogie de Jacques Lecoq a pris le contre-pied de la pensée qui a prédominé dans le monde du théâtre tout au long du xxe siècle : elle ne s'est intéressée que très secondairement au moi du comédien, à ses états d'âme ou à son histoire psychologique. Sans chercher d'accointances avec l'illusion dramatique, elle a prôné la pratique du jeu comme exploration d'une distance, puisque le monde existe en dehors de nous et bouge incessamment : s'il y a de loin en loin des points fixes où se reposer, l'essentiel demeure le parcours, le déplacement, le voyage. Quant à l'œuvre d'art, elle est à construire par surcroît, une fois les élèves libérés de la discipline pédagogique et rendus à la vie du théâtre. Ils auront été entre-temps invités à approfondir le langage du geste en explorant les grands territoires dramatiques (du mélodrame à la tragédie, en passant par la[...]

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Écrit par

  • : agrégé des lettres classiques et docteur ès lettres, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-X-Nanterre

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Robert ABIRACHED. LECOQ JACQUES (1921-1999) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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