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TEMIN HOWARD (1934-1994)

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Dès ses études universitaires en biologie au collège Swarthmore (Pennsylvanie), Howard Temin s'est fait connaître par son énorme envie de savoir, et par un esprit curieux et indépendant. C'est ainsi qu'il a été perçu comme un “gourou” par ses camarades d'étude. En 1955, il rejoint le laboratoire de Renato Dulbecco au déjà célèbre California Institute of Technology, où il commence un travail doctoral avec Harry Rubin. À cette époque, la génétique commence à être très influencée par des études sur des virus comme le poliovirus, et plus particulièrement par des études sur des virus de bactérie appelés bactériophages. Attiré à la fois par ces développements récents et extrêmement prometteurs de la génétique, et par les découvertes plus anciennes de virus causant des cancers, Howard Temin s'oriente vers l'étude d'un virus qui provoque des tumeurs chez la poule. Découvert au début du xxe siècle par l'Américain Peyton Rous, ce virus est appelé à l'heure actuelle virus de sarcome de Rous (R.S.V.). Son étude a permis des avancées fondamentales en virologie et en cancérologie avec la découverte de gènes qui sont à l'origine de cancers, les oncogènes.

Au cours de son travail doctoral, une des premières contributions de Howard Temin à l'étude des rétrovirus fut de mettre au point un essai visant à doser le virus grâce à ses propriétés cancéreuses sur des cellules mises en culture. Cet essai, appelé focus assay (essai en foyer), permettra ensuite d'isoler de très nombreux variants du virus R.S.V. et de mesurer précisément le pouvoir transformant (cancérigène) de chaque variant se répliquant en culture de cellules et chez l'animal. Après avoir obtenu son diplôme de docteur ès sciences biologiques en 1959, Howard Temin a rejoint en 1960 le laboratoire McArdle à la faculté de médecine de l'université du Wisconsin, où il devait travailler jusqu'à sa mort.

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C'est en continuant d'étudier le virus R.S.V., dont l'acide nucléique, donc le génome, est formé d'ARN, qu'il s'est aperçu, en même temps que d'autres virologistes, que la réplication de R.S.V. pouvait être inhibée par des agents bloquant la synthèse de l'ADN (comme l'actinomycine-D). Cela l'a conduit à formuler dès 1964 une hypothèse particulièrement novatrice, dite du provirus, qui postulait que le cycle réplicatif de R.S.V. passe par un intermédiaire ADN. Cela impliquait que le génome ARN pouvait être copié en ADN. C'était, à l'époque, une proposition hérétique, car la majorité des biologistes considérait que le flux de l'information génétique allait de l'ADN vers l'ARN et, de là, vers les protéines.

Jusqu'en 1970, l'hypothèse du provirus restait considérée comme hérétique. Pendant plus de cinq années, Howard Temin et ses étudiants ont accumulé des données génétiques sur R.S.V. qui confirmaient l'hypothèse du provirus. Mais c'est grâce au concours de la biochimie, en plein développement dès les années 1960 avec les études sur les ADN et ARN polymérases, que l'hypothèse du provirus a été validée par la découverte de l'enzyme capable de copier l'ARN génomique viral en ADN. Cette ADN polymérase-ARN dépendante est présente dans les particules rétrovirales et est appelée maintenant réverse transcriptase, ou transcriptase inverse. Plus tard, de nombreuses études ont pu montrer que, en réalité, la transcriptase inverse est capable de copier aussi bien un brin d'ARN qu'un brin d'ADN, et que cette ADN polymérase-ARN et ADN dépendante d'origine virale est responsable de la copie du génome ARN rétroviral simple brin en ADN proviral double brin.

Pendant que Howard Temin décrivait cette enzyme dans des virus tumorigènes chez le poulet, David Baltimore, de façon indépendante, faisait la même découverte dans des virus leucémogènes chez la souris. Cette découverte de la réverse transcriptase dans des virus aviaires et murins, appelés oncorétrovirus car ils induisent des cancers chez les animaux infectés, a valu à Howard Temin, David Baltimore et Renato Dulbecco de recevoir le prix Nobel de médecine en 1975.

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La découverte de la réverse transcriptase donnait une nouvelle dimension de la biologie, en indiquant que les informations génétiques pouvaient passer de l'ARN à l'ADN et, éventuellement, faire des aller et retour ARN-ADN. On sait aujourd'hui, grâce aux travaux de nombreux laboratoires, que cette ADN polymérase particulière, la réverse transcriptase, est codée par une classe de virus répandus chez les animaux et l'homme, appelée rétrovirus. C'est aussi grâce à cette activité de réverse transcriptase que de nombreux virus humains et simiens ont été découverts depuis quinze ans, et en particulier les virus humains H.T.L.V. associés à des leucémies, et H.I.V., l'agent causal du sida.

Ces observations originales de Howard Temin ont été également le point de départ de la découverte d'enzymes analogues à la réverse transcriptase chez des virus comme les hépadnavirus (virus de l'hépatite B chez l'homme et le canard) et les caulimovirus (virus de la mosaïque du chou-fleur). Plus surprenant encore, une séquence codant pour une telle enzyme a aussi été mise en évidence dans des éléments génétiques transposables, les rétrotransposons, dont de nombreuses copies sont présentes dans les génomes eucaryotes, de la levure à l'homme.

Vingt-cinq ans après la découverte de la réverse transcriptase, les travaux de biologie structurale, de biochimie et de génétique continuent pour explorer les moindres secrets de cette enzyme fabuleuse. La réserve transcriptase est aussi devenue une enzyme clé, en génétique moléculaire et en biotechnologie, pour l'analyse et l'expression des gènes eucaryotes, au travers des processus de synthèse et de clonage des ADN complémentaires.

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Howard Temin fut également un pionnier dans l'analyse de la compréhension de mécanismes aussi fondamentaux en virologie que la capture par les rétrovirus de séquences cellulaires par le biais d'événements de recombinaison. Cette capture, encore appelée transduction, correspond au détournement et à la dérégulation de fonctions cellulaires, par et pour le virus, avec la formation de virus au pouvoir fortement oncogénique. Les rétrovirus possèdent, au sein du noyau viral, deux copies identiques, ou un peu différentes, de leur génome, ce qui correspond à une diploïdie ou à une pseudo-diploïdie, comme aimait à le dire Howard Temin. Grâce à des approches génétiques, Howard Temin et ses collaborateurs furent parmi les premiers, au début des années 1980, à construire des vecteurs rétroviraux pour la transgenèse, dérivant du virus aviaire, de la nécrose de la rate (virus S.N.V.). Par la suite, ils construisirent des génomes rétroviraux recombinants pour analyser au niveau moléculaire les événements de recombinaison intervenant au cours de la réplication des rétrovirus. Ce système génétique particulièrement élégant est fondé sur la formation de virus appelés hétérozygotes car ils ont incorporé des génomes recombinants différents. C'est aussi grâce aux rétrovirus recombinants que Howard Temin et ses collaborateurs purent étudier les mécanismes de la variabilité génétique des rétrovirus. Les résultats, alliant élégance et précision, démontrèrent que la variabilité et les recombinaisons étaient particulièrement élevées chez les rétrovirus, des milliers de fois plus élevées que lors de la réplication d'un génome cellulaire.

Sachant que le génome rétroviral est diploïde, les observations de Howard Temin et de ses collaborateurs impliquent que la réverse transcriptase est capable de produire un ADN recombinant unique en copiant alternativement les deux ARN génomiques au sein du noyau de la particule virale. Cette capacité de changer facilement de matrice serait une autre propriété de la réverse transcriptase.

Durant toute sa carrière scientifique, qui fut très brillante, Howard Temin a eu aussi à cœur d'amener et de former de nouvelles générations à la virologie. Il l'a fait par la recherche en rétrovirologie en accueillant de nouveaux étudiants et chercheurs chaque année dans son laboratoire, et en assurant un enseignement de virologie générale à l'université de Madison pendant trente ans.

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Howard Temin se sentait particulièrement concerné par des problèmes de santé publique, ceux qui découlent de l'utilisation de l'énergie nucléaire comme ceux qui proviennent de la consommation de tabac, et, en maintes occasions, il a attiré l'attention du public et du pouvoir politique sur ces questions préoccupantes. Une curieuse ironie du sort a voulu qu'il fût emporté par un adénocarcinome pulmonaire au début de 1994, après avoir assuré jusqu'aux dernières semaines la direction de son laboratoire et de l'enseignement de virologie à l'université.

— Jean-Luc DARLIX

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Écrit par

  • : directeur de l'unité de virologie humaine à l'École normale supérieure de Lyon, I.N.S.E.R.M. U412, professeur, docteur ès sciences naturelles

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