HODJA ou HOXHA ENVER (1908-1985)
Né en 1908 à Gjirokastër, Enver Hodja (ou Hoxha) dirigea l'Albanie de 1945 à 1985. Fils d'un commerçant tosque de religion musulmane, il bénéficia, en 1930, d'une bourse du gouvernement albanais pour l'université de Montpellier. À Paris, il entreprit sa formation politique auprès d'un petit groupe de communistes albanais en exil. En 1933, il devint le secrétaire particulier du consul honoraire d'Albanie à Bruxelles, où il étudia également le droit.
En 1936, Enver Hodja regagne une Albanie où sévissent la pauvreté et les divisions séculaires entre le Nord, guègue et montagnard, et le Sud tosque, zone de latifundia. Professeur à Tirana, puis au lycée français de Korçë, Hodja est renvoyé à cause de ses activités politiques. Le débit de tabac qu'il tient alors sert surtout aux réunions antifascistes du groupe qu'il constitue dès 1938 avec les intellectuels tosques Pandi Kristo, Koço Tashko, Nako Spiru et Koçi Xoxe, d'origine prolétarienne. Avec l'invasion italienne de 1939, Hodja est convaincu de la nécessité de libérer le pays pour l'unifier ensuite.
Chargés par le Komintern d'aider les communistes albanais à s'organiser, Miladin Popović et Dušan Mugoša, émissaires du Parti communiste yougoslave, trouvent à leur arrivée en Albanie, en 1941, une situation de lutte acharnée entre différents groupes. Le 8 novembre 1941, tous sont réunis pour former le Parti communiste albanais, dont Enver Hodja devient le secrétaire « provisoire ». Tous, à l'exception de Zjarri (le Feu), jugé trop nationaliste par les Yougoslaves.
À la conférence de Pezë, en 1942, Hodja organise le Front de libération nationale en intégrant quelques éléments non communistes. Mehmet Shehu l'appuie dans la liquidation des groupes antistaliniens, en particulier Të Rinjtë (les Jeunes), dissidents du Groupe de Korçë. En juillet 1943, Hodja prend la direction de l'armée de libération. Il devient, en outre, chef du gouvernement provisoire en 1944. Porté au pouvoir par 93 p. 100 des électeurs, le 2 décembre 1945, le Front démocratique, dirigé par le Parti communiste, entreprend avec l'aide des Yougoslaves une série de réformes sociales et économiques. Il s'attaque également aux prêtres musulmans, orthodoxes et catholiques, taxés d'intelligence avec les puissances ennemies. La résistance des catholiques au nord et de la minorité grecque au sud ouvre une longue période de difficultés et, dans le cas des catholiques, de répression et d'emprisonnement. De 1945 à 1948, Hodja doit faire face aux visées yougoslaves sur l'Albanie. Le ministre de l'Intérieur Koçi Xoxe défend, au sein du parti, la fusion complète des économies des deux pays. Seul Nako Spiru, qui se suicidera quelques mois plus tard, a le courage de s'opposer ouvertement au point de vue de Xoxe. Hodja temporise jusqu'à faire son autocritique, tout en poursuivant des négociations secrètes avec les Soviétiques. La rupture entre Staline et Tito sauve in extremis Hodja, Shehu et leurs partisans. Xoxe est jugé et exécuté en 1949. En 1953 ne resteront du comité central d'origine que trois membres, dont Enver Hodja. L'aide soviétique, qui avait commencé en 1948, s'accroît après une visite de Hodja à Moscou en 1949. La mort de Staline ouvre, en 1953, la voie à d'autres périls. Malgré de nouvelles purges en 1955, la fronde atteint son comble en 1956 ; dans la ligne du XXe congrès du Parti communiste soviétique, des communistes albanais s'en prennent au culte de la personnalité, à la suprématie de la langue tosque sur la langue guègue... En outre, pour prix de son rapprochement avec Moscou, Tito demande l'élimination de ses principaux ennemis, dont Hodja. Celui-ci est sauvé par les événements de Hongrie en 1956, mais élimine la communiste Liri Gega, enceinte, ainsi que tous les opposants déclarés.
Dès 1956, Pékin, à la recherche d'alliés dans le bloc soviétique, accroît son aide à Tirana. Hodja fait état, en 1960, d'un complot gréco-yougoslave, fomenté avec l'aide de la 6e flotte américaine. Malgré les contacts probables entre la marine soviétique basée au large de Vlora et des officiers albanais, il ne met pas l'U.R.S.S. en cause, tenant sans doute encore à la ménager, jusqu'au point de non-retour que marque, en juin 1960, la conférence de Bucarest. Hysni Kapo y affirme son soutien à Moscou au nom du gouvernement albanais.
Après la rupture des relations diplomatiques entre l'U.R.S.S. et l'Albanie le 25 novembre 1961, l'aide chinoise se substituera totalement à l'aide soviétique. De 1961 à 1978, Hodja, qui ne s'est rendu à Pékin qu'une fois, en 1956, tente de suivre les méandres de la politique chinoise, comme en témoigne son livre Réflexions sur la Chine, paru après la rupture. Il s'interroge sur le rôle du parti dans la révolution culturelle, qu'il essaie pourtant d'adapter à la situation albanaise des années 1970. Il prendra ombrage des références exclusives à la pensée de Mao, au détriment des enseignements de Lénine et, surtout, de Staline ! Mais, surtout, l'aide militaire que la Chine apporte à la Roumanie comme son rapprochement avec la Yougoslavie et la position de Pékin sur une alliance militaire de l'Albanie avec ces deux pays alarment Hodja au point que, en 1975 et 1976, il destitue Beqir Balluqu, ministre de la Défense, Petrit Dume, chef d'état-major, ainsi que tous les ministres qui avaient appuyé le point de vue chinois sur une orientation de Tirana vers l'exportation d'industrie légère dans le cadre de l'ouverture au marché mondial. Après la parution d'Impérialisme et Révolution, dans lequel Hodja affirme que la pensée de Mao n'a jamais été marxiste, les Chinois interrompront leur aide économique à Tirana. Après la mort de Hysni Kapo, en 1979, Mehmet Shehu se « suicide » dans des conditions mystérieuses le 18 décembre 1981. Dans Les Titistes, Hodja explique, en 1982, que Shehu, président du Conseil depuis 1954, a toujours été un espion à la solde des Yougoslaves, des Soviétiques et des Américains. Annonçant qu'une tentative de débarquement a été déjouée au large des côtes albanaises, Hodja soude une fois de plus l'opinion albanaise contre l'ennemi yougoslave, en pleine polémique sur le Kosovo, et détourne l'attention de la collectivisation des derniers lopins privés. Après un remaniement ministériel considérable, il conforte Ramiz Alia dans sa situation de dauphin.
Apparaissant rarement en public et voyageant peu, Hodja fut un polémiste et un rédacteur infatigable, un doctrinaire de l'ordre marxiste. L'histoire de l'Albanie associée à son nom est faite de violence, d'intransigeance, de guerre idéologique et de guerre tout court, au nom du développement et de l'indépendance de son pays.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Anne-Marie AUTISSIER : enseignante, chercheur à l'Institut d'études européennes de l'université de Paris-VIII
Classification
Média
Autres références
-
ALBANIE
- Écrit par Anne-Marie AUTISSIER , Odile DANIEL , Encyclopædia Universalis et Christian GUT
- 22 078 mots
- 9 médias
...l'attaque de l'URSS par Hitler, mais isolés et parfois rivaux, s'unirent alors en un parti unique (8 nov. 1941) avec un comité central dirigé par Enver Hodja. Celui-ci organisa, avec des éléments non communistes, tel Abas Kupi, le Front de libération nationale (FLN), créé lors de la conférence de Pezë... -
ALBANIE, archéologie
- Écrit par Olivier PICARD
- 2 304 mots
L'archéologie n'était pas une discipline neutre dans les anciens pays communistes de l'Est : aussi bien la volonté d'écrire une histoire officielle, à la fois nationale et dans le vent de la philosophie du régime, que celle de remodeler le paysage en éliminant les monuments jugés obscurantistes au...
-
ALIA RAMIZ (1925-2011)
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 549 mots
Homme d'État albanais né le 18 octobre 1925 à Shkodër, Ramiz Alia fut président de la République albanaise (1982-1992) et dirigeant du Parti communiste albanais (1985-1991).
Né de parents musulmans originaires de la région albanophone du Kosovo (alors en Yougoslavie), Ramiz Alia fait ses...
-
KADARÉ ISMAÏL (1936-2024)
- Écrit par Jean-Paul CHAMPSEIX
- 2 373 mots
- 1 média
...instamment d'écrire sur la période contemporaine, Kadaré médite alors un projet singulier. Il affirme qu'à l'époque il croyait possible de changer les vues d'un tyran qui, après avoir rompu avec le monde soviétique et pris ses distances avec Mao, n'avait plus d'autre choix que de se tourner vers l'Europe....
Voir aussi