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THOREAU HENRY DAVID (1817-1862)

Économie de vie et résistance

L'activité intellectuelle de Concord ne suffit pas à combler Thoreau qui trouve difficilement sa place dans une société où la religion manque de spiritualité et d'émotion, où le conformisme est oppressant et les préoccupations commerciales envahissantes. Sa vocation littéraire n'étant pas reconnue, il fait retraite, le 4 juillet 1845, dans une cabane construite de ses mains au bord du lac de Walden, à un mile de chez ses parents. Dans ce refuge pastoral, il disposera jusqu'en septembre 1847 du calme nécessaire pour se consacrer à l'écriture et jouir de l'immersion dans la nature.

Son isolement intrigue ses concitoyens qui l'interrogent sur le sens de son mode de vie : Thoreau répond par une conférence qui servira d'embryon à Walden (l854). Dans le long premier chapitre, « Économie », il décrit comment gagner sa vie sans aliéner sa liberté, et explique quel dépouillement est nécessaire pour se dégager de l'emprise délétère de la société. Dans des pages polémiques, il détaille ses griefs contre la vie moderne et propose un contre-modèle que chacun devra adapter à son individualité. Il procède au renversement systématique de la hiérarchie des valeurs communément admises, décape les préjugés, replace les mots quotidiens au contact de la réalité nue. Ainsi, au pays de l'éthique protestante du travail, il transforme l'oisiveté en une vertu créatrice, parce qu'elle permet de s'éloigner de l'affairement lucratif. Le personnage partiellement fictif de Walden met en scène sa résistance à l'opinion dominante et s'arrache aux déterminations de la tradition. On reprochera à cette économie de vie son hypermoralisme rigide, ses certitudes qui étouffent l'écrivain plus nuancé du Journal. Mais il faut comprendre que les paradoxes provocateurs visent à réveiller le lecteur pour l'amener à penser par lui-même.

Sa croyance transcendantaliste en la culture de soi conduit Thoreau à l'objection de conscience, refus intransigeant de compromettre sa pureté morale en collaborant avec un gouvernement inique : dans les années 1840, il cesse de payer l'impôt qui apporterait un soutien indirect à l'esclavage. Il est finalement emprisonné une nuit en 1846, et va faire de cet épisode le centre de Résistance au gouvernement civil (Resistance to Civil Government, 1849), geste significatif d'objection individuelle susceptible d'entraîner d'autres citoyens à bloquer la machine politique en ne la finançant pas ; il fournira ainsi un argumentaire pour la désobéissance civile de Gandhi et du pasteur King qui, eux, chercheront à déclencher un mouvement de masse. Cette résistance se révèle intenable face aux sudistes qui forcent le Nord à participer à la chasse aux esclaves en fuite. Dans la décennie suivante, Thoreau sort de son relatif apolitisme : il soutient l'action antiesclavagiste de John Brown et en vient dans Plaidoyer pour le capitaine John Brown (A Plea for Captain John Brown, 1859) à accepter que l'on puisse recourir à la violence. En dehors de quelques conférences et articles, Thoreau ne milite pas pour la cause abolitionniste, et se refuse à participer à une action concertée. Lorsqu'il se sent responsable vis-à-vis de l'injustice sociale, il privilégie l'éducation politique de ses lecteurs, réduite à la dénonciation de l'esclavage intérieur.

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Écrit par

  • : professeur de littérature américaine à l'université de Lyon-II-Lumière

Classification

Pour citer cet article

Michel GRANGER. THOREAU HENRY DAVID (1817-1862) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Henry David Thoreau - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Henry David Thoreau

Autres références

  • WALDEN, Henry David Thoreau - Fiche de lecture

    • Écrit par Marc CERISUELO
    • 728 mots
    • 1 média

    Henry David Thoreau (1817-1862) est assurément avec Ralph Waldo Emerson (1803-1882) le plus célèbre des intellectuels, écrivains et philosophes, qui ont contribué à l'affirmation de la culture américaine et ont fait du transcendantalisme le courant philosophique majeur d'une tradition...

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  • DÉSOBÉISSANCE CIVILE

    • Écrit par Christian MELLON
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    • 2 médias
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Voir aussi